La médecine monastique : herbes médiévales et sciences modernes Understand article
Traduit par Claire Debrat. Un groupe de chercheurs allemands exhume les connaissances médicales du Moyen-Âge.
Pour beaucoup de gens, la médecine par les plantes est une façon « alternative » de se soigner en cas de toux ou rhume persistant, mais pas pour des maladies graves. Pour le chercheur Johannes Mayer, spécialiste de l’Histoire de la médecine, c’est beaucoup plus sérieux : d’après lui, les remèdes à base de plantes consignés dans les manuscrits médiévaux pourraient être une source d’inspiration pour des soins modernes et très efficaces, même contre les cancers. Il n’est visiblement pas seul, car son travail a attiré l’attention (et le soutien financier) du géant pharmaceutique GlaxoSmithKline.
Le groupe de Johannes Mayer, à l’université de Würzburg, en Allemagne, s’intéresse à la médecine monastique (Klostermedizin, en allemand). Au cours des 30 dernières années, les membres du groupe ont parcouru les manuscrits des monastères remontant jusqu’au VIIIe siècle, les ont traduits et ont extrait et publié les informations concernant les remèdes à base de plantes et les maladies que ceux-ci devaient soignert.
Il y a 14 ans, les travaux de l’équipe franchissent un cap lorsqu’un représentant de GlaxoSmithKline rend visite au groupe. Le visiteur demande : « qu’est-ce que la médecine monastique ? Des prières, ou quelque chose comme ça ? ». Le chercheur explique alors que non, qu’il s’agit de comprendre précisément quels soins sont décrits dans les documents des monastères et quels étaient les effets physiologiques de ces soins.
Suite à cette rencontre, un laboratoire de recherche a été ouvert à l’université, financé par GlaxoSmithKline, pour passer de la recherche historique à la recherche de remèdes modernes issus des connaissances médiévales. Jusqu’à présent, cette collaboration a permis de mettre au point quelques produits pour traiter le rhume ordinaire, sous le nom commercial « Abtei » (« abbaye », en allemand). Le laboratoire a depuis établi d’autres partenariats avec des groupes pharmaceutiques et avec l’hôpital universitaire de Würzburg.
Ces bons résultats ont pour origine première les nombreux documents historiques. « Nous avons d’abord cherché les plantes mentionnées dans les documents des monastères qui étaient utilisées au début du Moyen-Âge et pendant le haut Moyen-Âge, entre les VIIIe et XIIe siècles », explique le chercheur. « Maintenant, nous sommes passés à l’étude de l’ensemble de l’Histoire des plantes médicinales en Europe jusqu’à l’époque moderne, à la recherche d’indications sur des plantes utiles. »
La recherche se fait en plusieurs temps : traduire les textes (souvent rédigés en latin médiéval), identifier précisément les plantes utilisées dans les soins (ce qui est compliqué, car les plantes étaient souvent connues sous plusieurs noms en même temps) et enfin trouver la substance active des soins et des plantes.
Certaines de ces substances sont ensuite étudiées dans les laboratoires de l’hôpital universitaire de Würzburg ou ceux des compagnies pharmaceutiques partenaires. Les scientifiques du département d’oto-rhino-laryngologie (oreille, nez et larynx) de l’hôpital s’intéressent par exemple en ce moment à l’Osmunda regalis (la fougère royale) et à laChelidonium majus (la grande chélidoine) : ils travaillent avec des cultures de cellules d’oreille cancéreuses auxquelles ils appliquent des extraits de ces plantes dissous dans de l’eau ou dans de l’alcool, avant d’analyser les effets observés. Certains résultats prometteurs ont ainsi pu passer à l’étape du développement de nouveaux médicaments, puis à celle des tests qui permettent de vérifier que les médicaments respectent les exigences fixées dans la loi. Dans le cas de la fougère et de la grande chélidoine, par exemple, si les test avec les extraits sont prometteurs, les essais cliniques seront menés à l’hôpital.
Ce parcours nécessite d’associer divers talents ; ainsi l’équipe de M. Mayer est-elle composée de spécialistes de plusieurs domaines : Histoire de la médecine, latin et grec ancien, chimie, biologie, pharmacie. Tous participent à la compréhension des recettes médiévales. Le groupe fait aussi parfois appel à des spécialistes extérieurs, par exemple un moine cistercien biologiste.
M. Mayer est lui-même historien. « J’ai commencé par étudier l’Histoire avant de me tourner vers l’Histoire de la médecine et de me rendre compte qu’on ne savait pas quelles plantes étaient utilisées au Moyen-Âge. J’ai donc entamé la création d’un catalogue des plantes utilisées en Europe par le passé. »
La plupart des principaux documents est rédigée en latin mais, souvent, ce sont en fait des traductions de textes antérieurs en arabe, ces derniers reproduisant parfois des connaissances datant de la Grèce antique, par exemple d’Aristote. Johannes Mayer explique que « les écrits étaient rares au début du Moyen-Âge et Pline l’Ancien (23-79 apr.J.-C.) était l’auteur principal de l’antiquité en matière de médecine monastique. Au XIe siècle, les textes en arabe ont commencé à être traduits en latin et beaucoup de nouvelles plantes ont ainsi été intégrées à la médecine d’Europe. »
C’est le cas par exemple de l’Alpinia officinarum, une plante ayant des vertus relaxantes et réputée traiter les problèmes respiratoires. Bien qu’endémique d’Europe, elle n’était pas utilisée avant que les textes de médecine en arabe ne soient traduits.
L’apport des traductions de l’arabe a contribué, au XIIIe siècle, à la fondation de plusieurs universités qui ont progressivement concurrencé la médecine monastique en formant des médecins de profession.
Le XVIe siècle a connu un renouveau de la médecine monastique avec l’expansion vers de nouveaux mondes : parmi les missionnaires envoyés en Amérique, beaucoup étaient des moines qui « se sont intéressés aux plantes inconnues de l’Amérique centrale et du sud, ainsi qu’à l’usage qu’en faisaient les populations locales. Ils ont rédigé des livres sur l’utilisation de ces plantes et ont transmis ces informations en Europe », explique Johannes Mayer.
Aujourd’hui, son groupe collabore avec l’industrie mais aussi avec des monastères, en leur donnant des conseils pour cultiver certaines plantes particulières dans leurs jardins et pour les utiliser pour préparer des infusions et des lotions. Le groupe organise par ailleurs des cours ouverts au public au monastère tout proche de Oberzell. Ces cours lui apportent des financements supplémentaires précieux.
Cultiver les plantes n’est cependant pas toujours la meilleure solution. Parfois, ce sont des plantes difficiles à faire pousser, ou alors les ingrédients extraits des plantes de culture sont moins efficaces que ceux extraits des plantes sauvages.
« Certaines plantes, comme l’Arnica montana, doivent être récoltées dans la nature ; il est difficile de les cultiver et d’obtenir suffisamment de fleurs, alors que dans la nature elles poussent très bien », explique M. Mayer. Cela nous rappelle que la nature est aussi belle et complexe de nos jours qu’elle l’était au Moyen-Âge.
Des traitements efficaces
Beaucoup de plantes ont été utilisées en médecine traditionnelle, mais bien peu ont fait l’objet d’études scientifiques pour évaluer leur sécurité et leur efficacité face aux maladies qu’elles sont censées soigner. Un traitement doit non seulement être étudié en laboratoire, comme celui de Johannes Mayer, mais aussi passer l’étape des essais cliniques qui vérifient son efficacité.
Pour les scientifiques, le meilleur moyen de tester un médicament est une étude clinique de qualité, appelée essai clinique randomisé. Un tel essai se déroule selon un protocole qui évite d’introduire un biais dans les résultats :
- le médicament est comparé à un ou plusieurs autres traitements de référence et à un placebo (un traitement qui n’a aucun effet pharmacologique direct, par exemple une pilule contenant du sucre) ;
- les participants à l’essai sont répartis de façon aléatoire entre les différents groupes (qui recevront chacun un traitement différent) ;
- ni les participants, ni les investigateurs ne savent quel groupe reçoit quel traitement, c’est ce qu’on appelle un essai en double insu, ou double aveugle ;
- l’essai doit comporter suffisamment de participants pour que les résultats ne puissent pas être le fruit du hasard (plus on collecte de données, plus les résultats sont fiables).
Ce protocole peut paraître très compliqué mais, sans toutes ces précautions, les résultats obtenus pourraient être biaisés par des facteurs non liés au médicament lui-même et ne seraient pas fiables. De plus, même lorsque l’essai est bien mené, il doit être comparé à d’autres essais pour conclure sur l’ensemble des résultats (pour en savoir plus sur les essais cliniques, lire Garner & Thomas, 2010 et Brown, 2011.)
Parmi les herbes médicinales dont les effets ont été scientifiquement démontrés, on trouve :
- l’artichaut (Cynara scolymus), qui peut réduire les problèmes digestifs en faisant augmenter la sécrétion de bile, ce qui facilite la digestion des graisses (voir les preuves dans The Handbook of Clinically Tested Herbal Remedies w1) ;
- la canneberge (Vaccinium macrocarpon), qui sert de prévention contre les infections urinaires, car le jus de canneberge empêcherait les bactéries d’adhérer aux parois des voies urinaires (une revue générale récente a cependant mis en doute l’efficacité de la canneberge, voir le site du groupe Cochrane w2 pour plus d’informations) ;
- le millepertuis commun (Hypericum perforatum) est aussi efficace que certains antidépresseurs contre la dépression, mais comme eux il a des effets secondaires (voir le manuel The Handbook of Clinically Tested Herbal Remedies w1).
Activités pédagogiques
Les élèves peuvent faire eux-mêmes des recherches sur l’efficacité présumée ou démontrée des plantes médicinales. Par exemple, faites-leur chercher les noms de certains remèdes courants à base de plantes comme l’échinacée, l’onagre, le ginkgo, le ginseng ou la valériane. Demandez-leur d’expliquer les informations qu’ils ont trouvées sur ces plantes et de dire si ces informations leur semblent fiables.
L’une des meilleures bases de données pour se renseigner sur l’efficacité des traitements de toutes sortes est le site internet du groupe Cochrane w2. Ce groupe passe en revue les données des essais cliniques pour déterminer la qualité des preuves de l’efficacité d’un traitement. Les revues peuvent être consultées sur leur site.
Une autre référence dans le domaine est The Handbook of Clinically Tested Herbal Remediesw1 de Marilyn Barrett (2004), accessible aussi en ligne. L’auteur a rassemblé les preuves scientifiques tirées des essais effectués sur plus de 30 traitements courants à base de plante, les revues de chacun des essais et un classement (de I à III) de la qualité des preuves.
References
- Brown A (2011) Just the placebo effect? Science in School 21: 52-56.
- Garner S, Thomas R (2010) Evaluating a medical treatment. Science in School 16: 54-59.
- Schellenberg R et al. (2004) The fixed combination of valerian and hops (Ze91019) acts via a central adenosine mechanism. Planta Medica 70(7): 594–597
- Scholey AB et al. (2008) An extract of Salvia (sage) with anticholinesterase properties improves memory and attention in healthy older volunteers. Psychopharmacology 198:127–139. doi: 10.1007/s00213-008-1101-3
Web References
- w1 – Ce manuel complet rassemble les informations issues des essais sur les traitements à base de plantes : Barratt M (2004) The Handbook of Clinically Tested Herbal Remedies Volume 2. USA: Haworth Press, Inc. ISBN: 0-7890-2724-0.
- w2 – Le groupe Cochrane réalise des revues avec les données des essais cliniques portant sur des médicaments, y compris des médicaments à base de plantes ; les revues sont accessibles en ligne sur leur site.
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La revue la plus récente analyse les preuve de l’efficacité de la canneberge dans la prévention des infections des voies urinaires et n’a trouvé aucune amélioration significative grâce à la canneberge.
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Resources
- Le site Science and Plants for Schools est une mine d’informations pédagogiques sur les médicaments à base de plantes. Les activités se présentent sous la forme d’un jeu de carte utile pour en apprendre plus aux élèves (16 ans et plus) sur les produits pharmaceutiques à base de plantes, ou pour introduire la notion de poison aux plus jeunes.
- Pour en savoir plus sur les sciences et la médecine arabes entre le VIIe et le XVIIesiècle, consulter les ressources suivantes :
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Khan Y (2006) 1000 years of missing science. Science in School 3: 67-70.
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- Pour en savoir plus sur les travaux du groupe Mayer, consulter son site Forschergruppe Klostermedizin (en allemand).
Review
L’utilité des plantes dans la vie de tous les jours, sous diverses formes, est reconnue. Cet article présente une des utilisations possibles des plantes en expliquant comment les plantes des jardins de simples des monastères du Moyen-Âge inspirent la médecine moderne. Le lien qui est fait entre l’Histoire, les études religieuses et les disciplines telles que la biologie végétale, la chimie et la pharmacie est très intéressant, tout comme le processus complexe qui permet de tirer des informations utiles des manuscrits monastiques du Moyen-Âge. L’article démontre ainsi très bien comment les connaissances peuvent se transmettre à travers les âges et les civilisations.
Cet article est un point de départ idéal pour un cours pluridisciplinaire. Les sujets couverts pourraient être :
- des ingrédients naturels pour la médecine moderne
- sagesse antique, découvertes d’aujourd’hui
- le transfert de connaissances d’âge en âge et d’une civilisation à une autre.
Voici quelques exemples de questions de compréhension possibles :
- Pourquoi est-il difficile de trouver des informations sur les plantes pouvant soigner des maladies ?
- L’industrie pharmaceutique s’appuie en général sur le travail en équipe de biologistes, chimistes, pharmaciens et médecins pour mettre au point de nouveaux médicaments. Dans le cas de la médecine monastique décrite dans l’article, des chercheurs spécialisés dans d’autres domaines doivent participer aux études. Expliquer pourquoi.
- Une fois qu’une plante médicinale a été identifiée, pourquoi est-il difficile d’obtenir de grandes quantités de cette plante ou de ses substances actives ?
Michalis Hadjimarou, Chypre