Mauvaise pêche pendant la méiose Understand article
Traduit par Pierre Stouff. Pourquoi y’a-t-il tant de problèmes pendant la méiose? Et quelles en sont les conséquences?
Lors d’une fête de village, par-delà les autos tamponneuses et les stands de barbe à papa, le front d’un enfant se plisse sous la concentration. Il fait de son mieux pour attraper un poisson en bois dans un étang en plastique, grâce à l’aimant attaché au bout de sa canne à pêche. Figez la scène, rembobinez toutes les étapes du développement de l’enfant, passez l’instant où le spermatozoïde a fécondé l’ovocyte, jusqu’au moment où l’ovocyte lui-même a été formé, et vous trouverez un phénomène qui ressemble à cette pêche à la ligne. La différence, comme les scientifiques du Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL; voir encadré) l’ont constaté, c’est que les enfants brandissant leurs aimants sont probablement des pêcheurs plus efficaces que la machinerie cellulaire des ovocytes (Kitajima et al., 2011).
Lorsque la cellule œuf ou ovocyte, mûrit à l’intérieur d’un ovaire féminin, il subit une division cellulaire particulière appelée méiose, dans laquelle les paires de chromosomes qu’il contient sont tous alignées puis chacun est pêché un à un, la moitié d’entre eux étant expulsés. Les chromosomes sont rassemblés de partout dans la cellule (Mori et al., 2011) et sont tirés par des fibres protéiques appelées microtubules. Comme la canne à pêche de l’enfant attrapant le poisson-jouet par son aimant, un microtubule attrape un chromosome par son kinétochore – un amas de matière protéique et génétique situé au centre du X formé par le chromosome.
En examinant les ovocytes de souris sous le microscope, Tomoya (Tomo) Kitajima, un scientifique de l’EMBL, a été le premier à suivre les mouvements de l’ensemble des kinétochores d’un ovocyte au cours de toutes les étapes de la division cellulaire – des 10 heures que dure le phénomène. « Nous avons pu, pour la première fois, garder la trace de tous les kinétochores au long de la division cellulaire – ainsi il n’y a donc plus un seul instant où la position de cette partie du chromosome demeure incertaine – et ceci est vraiment une avancée dans ce domaine de recherche, où les cellules sont très grandes et sensibles à la lumière, » dit Jan Ellenberg, qui dirige le groupe de recherche.
Tomo a utilisé un logiciel qui a été développé précédemment au sein du laboratoire de Jan, ce qui lui a permis de programmer un microscope à balayage laser pour trouver les chromosomes dans l’immense espace intérieur de l’ovocyte, puis les filmer pendant la division cellulaire. « L’ovocyte est une grande cellule, mais les chromosomes se situent dans une petite partie seulement de cette cellule, celle qui nous intéressait. Donc, fondamentalement, nous avons juste du rendre nos microscopes assez intelligents pour qu’ils puissent trouver où les chromosomes étaient puis zoomer juste sur cette région, dans l’espace et le temps » explique Jan.
En se concentrant uniquement le faisceau du microscope sur la partie de la cellule où sont les chromosomes, Tomo a été en mesure d’obtenir des images haute résolution à de courts intervalles d’une seule minute et demie, ce qui lui donnait une image très claire du processus. Et, parce que le microscope n’éclairait fortement que cette petite région de l’ovocyte, il a moins endommagé la cellule, ce qui a permis aux scientifiques de poursuivre l’imagerie pendant les 10 heures de la division cellulaire (voir l’encadré pour en savoir plus sur la microscopie intelligente).
En retournant à la pêche au bord de l’étang, il se pourrait qu’on entende un cri de colère accusant l’enfant : « C’est de la triche ! Tu n’a pas le droit de pousser les poissons avec ta canne ! » Grâce au travail de Jan et Tomo, l’enfant accusé pourrait faire valoir, pour sa défense, que ses cellules ‘trichaient’ déjà comme ça avant qu’il ne naisse. Lorsque les chercheurs de l’EMBL ont analysé les vidéos, ils ont constaté que, avant que les microtubules ne s’attachent aux kinétochores, ils poussent les chromosomes dans une position favorable, comme un enfant repositionne un poisson avec le bout de sa canne. Les microtubules poussent les bras des chromosomes, plaçant les chromosomes le long d’un anneau où ils peuvent ensuite les pêcher plus facilement.
« Mais même avec ce prépositionnement, cela ne fonctionne pas très bien » explique Jan. « Nous avons vu que 90% des connexions avec les kinétochores ont été d’abord mal établies, et les microtubules ont dû libérer le chromosome et essayez à nouveau – en moyenne, cela a été fait trois fois par chromosome. »
Des scientifiques américains ont montré que la même ‘tricherie’ arrive aussi dans l’autre type de division cellulaire, celle que nos cellules subissent quand nous grandissons ou quand les tissus tels que la peau se régénèrent (Magidson et al., 2011). Dans ce second type de division cellulaire, appelée mitose, une cellule se divise en deux cellules filles, chacune avec la même quantité de matériel génétique que la ‘cellule mère’, au lieu de la moitié du matériel génétique lors de la méiose. Mais résultats de Jan et Tomo mettent en évidence que la pêche de chromosomes conduit à beaucoup plus d’erreurs dans la méiose des ovocytes que dans la mitose. Les scientifiques pensent que la principale erreur de la méiose pourrait être due à une différence fondamentale dans la façon dont les microtubules pêchent les chromosomes dans les deux types de division cellulaire.
Au cours de la mitose, les fibres des microtubules commencent à se former en deux points opposés de la cellule et se rassemblent dans une structure en forme de citron – le fuseau – qui tire alors un chromatide de chaque paire d’un côté, ou pôle. Mais dans la méiose, comme l’a découvert le groupe de Jan il ya quelques années (Schuh & Ellenberg, 2007), les microtubules du fuseau convergent d’abord de pas moins de 80 points différents, et ce n’est qu’ensuite qu’ils viennent se ranger dans une structure bipolaire. « Ainsi lorsque les microtubules s’attachent en premier aux chromosomes, il est difficile de savoir s’ils vont terminer par les tirer dans des directions opposées ou non » explique Jan. Ceci, avec le fait que l’ovule est un espace immense dans lequel les microtubules doivent d’abord trouver les chromosomes avant de les tirer – un œuf humain est plus de quatre fois plus grand qu’une cellule de la peau – ce qui pourrait expliquer pourquoi la pêche au chromosome est sujette à de nombreuses erreurs dans les ovocytes en division.
Ces résultats fournissent également aux scientifiques un détail plus précis à regarder lorsque l’on étudie l’infertilité féminine et les événements comme le syndrome de Down, qui proviennent en grande partie d’ovocytes possédant un nombre anormal de chromosomes. En montrant que de telles erreurs se produisent probablement parce que les microtubules ne parviennent pas à faire les bonnes connexions pour séparer les chromosomes correctement, Tomo et Jan ont fourni du matériel pour de futures études. En fait, Tomo est maintenant en train d’étudier pourquoi ce processus d’essais-erreurs est encore plus sujet aux erreurs dans les ovocytes plus âgés. Si lui ou d’autres peuvent repérer où les mécanismes de correction d’erreur échouent dans les cellules plus âgées, cela pourrait être un jour le point de départ pour d’applications médicales afin d’aider les microtubules à améliorer leur technique de pêche. Peut-être que le secret pour contrer l’infertilité liée à l’âge est de rendre la pêche des microtubules aussi efficace que celle des enfants avec leurs aimants-jouets.
Rendre les microscopes plus intelligents
Le logiciel que Tomo utilisé pour trouver et filmer les chromosomes au cours de la division cellulaire était un préambule. Depuis lors, en collaboration avec une autre équipe à l’EMBL dirigée par Rainer Pepperkok, le groupe de Jan a mis au point un programme plus complexe, capable de davantage de prouesses dans l’automatisation. Appelé Micropilot, le nouveau logiciel analyse les images à basse résolution prises par un microscope et ne trouve pas seulement les chromosomes, mais aussi n’importe quelle structure que le scientifique lui a appris à rechercher.
Une fois Micropilot a identifié la cellule ou la structure à laquelle les scientifiques s’intéressent, il démarre automatiquement le microscope pour l’expérience. Cela peut être un simple enregistrement de vidéos à haute résolution en accéléré ou une utilisation complexe des lasers pour interférer avec les protéines marquées par fluorescence avec enregistrement des résultats. Le logiciel est une aubaine pour les études de biologie des systèmes, car il permet d’obtenir davantage de données à un rythme plus rapide. Grâce à son débit élevé, Micropilot peut facilement et rapidement obtenir suffisamment de données aboutissant à des résultats statistiquement fiables, ce qui permet aux scientifiques de sonder le rôle de centaines de protéines différentes au sein d’un processus biologique particulier.
En savoir plus sur l’EMBL
Le Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire (EMBL)w1 est l’une des institutions de premier plan de recherche au monde, dédié à la recherche fondamentale dans les sciences de la vie. EMBL est international, novateur et interdisciplinaire. Ses employés de 60 nations viennent d’horizons différents comme notamment la biologie, la physique, la chimie et l’informatique, et collaborent à la recherche qui couvre tout le spectre de la biologie moléculaire.
EMBL est membre de l’EIROforum w2, l’éditeur de Science in School.
References
- Kitajima TS, Ohsugi M, Ellenberg J (2011) Complete kinetochore tracking reveals error-prone homologous chromosome biorientation in mammalian oocytes. Cell146(4): 568-81. doi: 10.1016/j.cell.2011.07.031
- Magidson V et al. (2011) The spatial arrangement of chromosomes during prometaphase facilitates spindle assembly. Cell 146(4): 555-67. doi:10.1016/j.cell.2011.07.012
- Mori M et al. (2011) Intracellular transport by an anchored homogeneously contracting F-actin meshwork. Current Biology 21: 606-61. doi: 10.1016/j.cub.2011.03.002
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Une explication gratuitement accessible et très simple de cette recherche se trouve dans le rapport annuel de l’EMBL :
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EMBL (2012) Neat nets. In EMBL Annual Report 2011/2012 pp 86-88. Heidelberg, Germany: European Molecular Biology Laboratory.
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- Schuh M, Ellenberg J (2007) Self-organization of MTOCs replaces centrosome function during acentrosomal spindle assembly in live mouse oocytes. Cell130(3): 484-98. doi: 10.1016/j.cell.2007.06.025
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Une explication gratuitement accessible et très simple de cette recherche se trouve dans le rapport annuel de l’EMBL :
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EMBL (2008) Push me, pull you. In EMBL Annual Report 2007/2008pp 46-50. Heidelberg, Germany: European Molecular Biology Laboratory.
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Web References
- w1 – Pour davantage d’informations sur l’ EMBL, voir le site de l’EMBL.
- w2 – L’EIROforum est issu de la collaboration de 8 des plus grandes organisations de recherche inter-gouvernementales d’Europe, qui fusionnent leurs ressources, leurs moyens et leur expertise afin d’aider la recherche en science en Europe à atteindre sont plein développement. Au sein de ses activités d’éducation et de vulgarisation, l’EIROforum publie Science in School.
Resources
- Regarder une vidéo des microtubules poussant les chromosomes dans la bonne position.
Institutions
Review
Cet article parle de nouvelles données scientifiques concernant la compréhension des mécanismes de la division cellulaire, à savoir la liaison des microtubules aux chromosomes lors de la mitose et de la méiose.
Le niveau de précision de cet article le rend particulièrement utile pour les cours de biologie du secondaire (15 ans +), pour des sujets tels que la cytologie (mitose et méiose), la génétique (les causes et les conséquences des anomalies chromosomiques) et la reproduction (gamétogenèse et stérilité).
L’article peut également être utilisé pour lancer des discussions plus larges sur les avantages de la modélisation des phénomènes biologiques (modèles pouvant nous aider à comprendre les phénomènes) et les risques. Par exemple, dans la plupart des manuels décrivant la mitose et de la méiose, les chromosomes sont représentés comme de grandes structures. Cela peut conduire les élèves à croire que les chromosomes sont facilement observables dans n’importe quel type de cellules. Cependant, comme cela est clairement précisé dans l’article, ce n’est pas le cas.
Enfin, l’article montre comment les efforts déployés dans un groupe de recherche pourraient bénéficier à d’autres domaines de recherche, tout en mettant en évidence la relation synergique entre la science et la technologie.
Betina da Silva Lopes, Portugal