Laboratoire spatial: interview avec Bernardo Patti Understand article

Traduit par Nausicaa Delmotte, ESO. Bernardo Patti est le chef de projet de la mission Columbus à l'Agence Spatiale Européenne. Ingénieur, il a travaillé dans des centrales nucléaires avant de se lancer dans la technologie spatiale. Peu de temps avant le lancement de Columbus, il parlait à…

Qu’est-ce que Columbus?

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autorisation de l’ESA

Columbus est le nom du laboratoire de recherche que nous allons envoyer dans l’espace pour s’arrimer à la Station Spatiale Internationale [International Space Station, ISS]w1. C’est un module supplémentaire pour la station, qui contient toutes les installations nécessaires pour mener à bien des expériences dans l’espace. Il sera à bord de la navette spatiale Atlantis qui sera lancée début 2008 du Centre Spatial Kennedy en Floride.

À quoi ressemble un tel laboratoire spatial?

Columbus a une forme cylindrique d’environ 7 mètres de long et 4,5 mètres de diamètre. Les équipements sont rangés de manière très efficace à l’intérieur.

Nous avons dû travailler très dur pour trouver l’agencement permettant d’utiliser de manière la plus efficace possible les 75 m3 de volume. Columbus peut maintenant contenir trois membres d’équipage ainsi que tout l’équipement de recherche indispensable. Les installations de recherche individuelles peuvent accueillir des étagères high-tech avec des tiroirs pour le matériel et des espaces de travail qui peuvent être détachés.

Quel type de recherche permettra Columbus?

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Columbus est un laboratoire multidisciplinaire. Il contient quatre installations différentes pour mener des expériences sur les sciences des matériaux, des fluides et de la vie. Dans tous ces domaines, nous voulons étudier l’effet de l’apesanteur sur différents échantillons que nous envoyons depuis la Terre.

Biolab, par exemple, est une installation dédiée aux expériences biologiques sur les micro-organismes, les cellules, les tissus, les petites plantes et les invertébrés. Nous voulons comprendre comment la gravité – et son absence – affecte les organismes vivants à tous les niveaux. Une des premières expériences que nous allons effectuer avec Biolab est l’observation des racines d’une petite plante – que vous pouvez imaginer assez semblable à de la roquette [cette salade aussi appelée rucola]. Les racines vont-elles pousser vers le haut, vers le bas ou bien dans une direction complètement différente quand elles ne sont pas guidées par la gravité?

Dans le module européen de physiologie à l’intérieur de Columbus, les effets des vols spatiaux de longue durée sur le corps humain et la santé vont être étudiés. Nous espérons aussi améliorer notre compréhension des problèmes terrestres tels que le processus de vieillissement, les troubles du poids corporel, l’ostéoporose osseuse et la dystrophie musculaire.

Nous espérons que le laboratoire de science des fluides révèlera la dynamique des fluides qui ne peut pas être étudiée sur Terre car elle est masquée par la gravité et ses effets. Nous allons nous intéresser, entre autres, aux phénomènes comme les flux et les instabilités induites par les gradients de tension de surface et les forces de radiation thermales, aux instabilités reliées au couplage entre la chaleur et le transfert de masse, aux propriétés thermophysiques des fluides, aux mécanismes d’ébullition et aux phénomènes de point critique.

Dans le laboratoire de science des matériaux, des expériences vont être lancées pour examiner différents matériaux afin d’améliorer l’étude de leurs propriétés. Nous allons fondre et solidifier des métaux et les exposer à différentes atmosphères et conditions.

Ce doit être beaucoup d’efforts d’envoyer des échantillons terrestres dans l’espace pour les étudier!

bsolument. Mais cela en vaut la peine! Toutes les questions que nous examinons ne pourraient jamais être abordées dans un laboratoire sur Terre, car la gravité est une force omniprésente sur notre planète. Je sais que cela semble paradoxal mais il est plus facile de comprendre les phénomènes terrestres dans l’espace, très loin de leur contexte naturel. La gravité rend en effet certaines expériences tout simplement impossibles et neutralise de nombreux petits effets qui peuvent être étudiés en orbite.

Quels sont les défis d’une mission comme Columbus?

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Le plus important défi était de construire un laboratoire qui sur Terre pèserait au moins 50 tonnes avec un diamètre de quatre mètres tout en le gardant suffisamment léger pour être lancé dans l’espace. Columbus pèse environ 12 tonnes et c’est à peu près le poids maximum que la navette Atlantis peut transporter.

Sur Columbus nous avons pu fournir un environnement où l’équipage peut travailler dans un cadre confortable. Il peut aussi accueillir toutes les installations scientifiques dans un espace pressurisé. Il peut opérer 10 ans en orbite. À la différence d’un bateau qui a besoin d’être mis à cale sèche pour être ensuite réparé, Columbus aura la capacité de détecter automatiquement toute panne et de commencer à la réparer de lui-même tout en étant toujours opérationnel. Toute la structure européenne peut être opérationnelle avec juste un seul lancement.

Qu’est-ce qui vous excite le plus personnellement à propos de ce projet?

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En tant qu’ingénieur, j’ai été particulièrement attiré par les défis de conception et d’ingénierie. Mais l’espace et l’apesanteur véhiculent aussi une fascination intrinsèque: l’ingénierie et les voyages dans l’espace ont en commun de dépasser les barrières traditionnelles de la technologie et de l’humanité. C’est incroyablement excitant et c’est une avancée énorme pour l’exploration spatiale.

D’un point de vue plus quotidien, ce que j’apprécie réellement au sujet de ce projet est son internationalité. La Station Spatiale Internationale est un projet en collaboration avec cinq agences spatiales différentes. Non seulement l’Agence Spatiale Européenne (European Space Agency, ESA) qui comporte déjà 17 états membres européens est impliquée, mais aussi la NASA (US National Aeronautics and Space Administration) et les agences spatiales canadienne, russe et japonaise.

Tous les jours je parle à des gens de plusieurs pays différents, en parlant parfois plusieurs langues par jour. C’est gratifiant pour nous de voir que tant de nations mettent autant d’efforts dans la réalisation d’un projet si ambitieux et de voir une compétition saine se développer entre les nations.

La curiosité et la science vont au-delà des frontières nationales et des différences historiques. Ce sont des forces solides qui unissent et comblent les écarts géographiques et culturels.

Comment les enseignants et les élèves peuvent-ils bénéficier de Columbus?

Pour le moment nous concentrons notre attention sur le lancement en toute sécurité de Columbus vers l’ISS et les premières périodes seront dédiées à son installation et à la mise en place des expériences. Mais il se pourrait très bien que dans le futur nous diffusions des leçons depuis ou impliquant le module Columbus, comme cela a été fait depuis l’ISS [voir la section sur les Ressources]. Columbus ouvre un nombre infini de possibilités nouvelles. Et pour certaines d’entre elles, j’en suis sûr, nous ne sommes même pas encore en mesure de les concevoi

Au moment où nous mettons sous presse, le module Columbus a rejoint l’ISS

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Atlantis a rejoint la Terre sans encombres avec son équipage de sept personnes le 20 février, après avoir passé presque 13 jours dans l’espace dont 9 jours arrimée à l’ISS. Ceci afin de délivrer le premier avant-poste humain permanent en orbite de l’Europe. Deux astronautes de l’ESA, Hans Schlegel d’Allemagne et Léopold Eyharts de France ont voyagé jusqu’à l’ISS. Schlegel est retourné sur Terre avec Atlantis, mais Eyharts a pris part à l’équipage résidant dans l’ISS et retournera sur Terre fin mars après avoir procédé à une série d’expériences dans le laboratoire Columbus mais aussi dans les autres installations scientifiques déjà opérationnelles sur la Station.

L’ESA va continuer à contribuer aux opérations de l’ISS en lançant les véhicules automatiques de transfert (Automated Transfer Vehicles, ATVs) conçus pour apporter les expériences scientifiques, l’équipement d’assistance à l’équipage (comme la nourriture et les vêtements), les fluides et le propergol. Le premier ATV, Jules Verne, sera lancé par une fusée Ariane 5 le 8 mars.w2
Avec la naissance de Columbus, c’est aussi le réseau de neuf centres d’opérations et de support utilisateur (User Support and Operations Centres, USOCs) disséminés en Europe qui voit le jour. Cela facilitera l’interface entre les chercheurs et les charges utiles scientifiques à bord et permettra aux scientifiques de contrôler leurs expériences et de recevoir les données en temps réel des résultats de leurs expériences. Lorsque plus de charges utiles scientifiques seront apportées sur Columbus par les missions logistiques à venir, le réseau USOC deviendra plus actif.

Columbus a été conçu pour soutenir quelques 500 expériences par an pendant dix ans, en biologie cellulaire et végétale, en astrobiologie, en physiologie humaine, en sciences des fluides et des matériaux, en physique fondamentale, en astronomie, en télédétection et en technologie. Pour la communauté scientifique européenne et la R&D industrielle, c’est une nouvelle ère de la recherche qui vient tout juste de commencer.


Web References

  • w1 – Un article sur la Station Spatiale Internationale sera disponible dans un prochain numéro de Science in School. Continuez à rendre visite au site web www.scienceinschool.org
  • w2 – Pour plus d’informations sur le véhicule automatique de transfert (Automated Transfer Vehicle, ATV), lisez l’article suivant dans ce numéro de Science in School:Williams A (2008) Le Véhicule de Transfert Automatique – en appui à l’Europe de l’espace. Science in School 8. www.scienceinschool.org/2008/issue8/atv/french

Resources

  • L’ESA a produit de nombreux matériels éducatifs concernant la Station Spatiale Internationale (ISS):
  • Une version imprimée du kit éducatif de l’ISS pour les enseignants des écoles primaires et secondaires est disponible dans les 12 langues de l’ESA. Les kits sont basés sur toutes les fascinantes activités impliquées dans la construction, le travail et la vie à bord de l’ISS. Ils fournissent des informations complémentaires et des exercices à réaliser dans les salles de classe. Ils sont disponibles pour tous les enseignants des écoles dans les états membres de l’ESA et peuvent être commandés en ligne gratuitement sur www.esa.int/spaceflight/education
  • Une version interactive du kit éducatif de l’ISS est disponible ici: www.esa.int/spaceflight/education
  • Une série de leçons sur l’ISS sous forme de DVD traitent de sujets liés aux cursus scolaires européens dont un sur le véhicule de transfert automatique dont la date de sortie est prévue pour l’été 2008. Les DVDs peuvent être commandés gratuitement par les enseignants: www.esa.int/spaceflight/education
  • L’ESA développe aussi une série de leçons en ligne pour les élèves des écoles primaires et secondaires ainsi que pour les enseignants. Voir www.esa.int/SPECIALS/Lessons_online
  • On trouvera plus de détails et de matériel éducatif sur les sites internet suivants: www.esa.int/esaED/
  • et: www.esa.int/esaHS/education.html

Institutions

Review

Cet article peut engendrer des discussions merveilleuses sur la gravité, la micro-gravité ou les conditions de chute libre, comment la gravité terrestre affecte les comportements chimiques et physiques des substances et des corps dans les expériences basées sur Terre, comment nous pouvons reproduire un environnement presque sans gravité orbitant la Terre. Le principe d’équivalence d’Einstein vient immédiatement à l’esprit, incitant à se demander comment la chute libre peut être équivalente à l’absence de force gravitationnelle. Le comportement du corps humain dans l’espace et après sa rentrée dans un environnement terrestre peut engager la science de la vie et la chimie dans une étonnante réunion spatiale interdisciplinaire.

Marco Nicolini, Italie

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