Comment suivre les particules subatomiques à la trace Teach article
Author(s): Julia Woithe, Rebecca Schmidt, Floria Naumann Translator(s): Maurice Cosandey
La photographie des trajectoires des particules subatomiques dans les chambres à bulles, développée au 20 ème siècle, permet l’étude directe de ces particules
De quoi est fait l’univers ? Qu’est-ce qui le maintient ? Comment va-t-il évoluer ? Ces questions éternelles fascinent les physiciens des particules. En étudiant les particules fondamentales et leurs interactions, ils essayent d’identifier les pièces du puzzle de l’Univers et leurs interrelations. Notre compréhension actuelle de l’Univers repose sur le Modèle Standard de la physique des particulesw1.
Mais comment peut-on observer et étudier ces particules, qui sont toutes bien plus petites que l’atome ? Entre les années 1920 et 1950, on observait ces particules dans les chambres à brouillard ou chambre de Wilson (Woithe, 2016). On matérialisait la trajectoire des particules chargées en les faisant traverser un gaz très refroidi, qu’on photographiait avec une caméra ultra-rapide. On arrive ainsi à mesurer la masse et la charge de ces particules. En 1952, on inventa la chambre à bulles, qui supplanta rapidement la chambre à brouillard précédente. Les chambres à bulles peuvent être de beaucoup plus grande dimension, et elles sont remplies d’un liquide, qui est un matériau bien plus dense que le gaz des chambres à brouillard. C’est un avantage essentiel pour étudier les particules de très haute énergie.
Aujourd’hui, les chambres à brouillard et à bulles ont été remplacées par des détecteurs plus rapides et capables de fournir des signaux digitaux. Les photos des chambres à bulle sont un peu désuètes. Mais elles fournissent un matériel de choix pour discuter de la physique des particules en classe.
Comment fonctionne une chambre à bulles ?
Le principal constituant est un liquide au point d’ébullition, qu’on détend subitement et qui doit donc bouillir. Quand une particule traverse ce liquide, elle ionise les molécules sur sa trajectoire et cela déclenche l’ébullition. Il se forme des minibulles alignées le long de la trajectoire, qui est ainsi matérialisée. On déclenche les caméras qui photographient la trace quand les bulles sont devenues assez grosses.
L’ensemble est placé entre les pôles d’un aimant. Le champ magnétique ainsi créé dévie les particules chargées et incurve leurs trajectoires, ce qui permet d’identifier ces particules. Par exemple, le rayon de courbure de la trace peut être mesuré et il permet de déduire les caractéristiques de la particule, comme la masse et à la vitesse.
Analyser en classe des trajectoires de chambres à bulles
Nous avons développé plusieurs activités à l’intention des lycéens motivés, dans lesquelles ils examinent des photographies de trajectoires, afin de déterminer la nature des particules qui les ont créées. Le document original décrivant ces activités, incluant les solutions et des informations pour les maîtres, est sur le site du CERNw2.
Les photographies ont été prises en 1972 dans la chambre à bulles de 2 m. de longueur au CERN. La chambre contient 1150 litres d’Hydrogène liquide refroidi à 26 K (-247°C). En 12 ans d’opération, on a enregistré 20 000 km de films photographiques enregistrant des collisions entre particules.
Dans cet article, nous proposons trois activités aux élèves de 16 à 19 ans, en utilisant des images de chambres à bulles. Avant de commencer cette activité, il faut que les élèves connaissent les bases de la physique des particules, ainsi que les propriétés des protons, électrons, positrons, photons, et si possible des neutrinos.
Les deux premières activités servent à identifier les particules chargées d’après leurs traces et la trajectoire qu’elles adoptent dans un champ magnétique. La troisième activité se concentre sur les transformations des particules. L’ensemble du programme devrait pouvoir être effectué par les élèves en une heure.
Note : si on veut faire du bon travail, il est important de disposer d’images en haute résolution, pour identifier les trajectoires individuelles. Les versions en haute résolution de ces images sont disponibles dans le matériel additionnel annexé à cet article
Activité no.1: Particules chargées dans un champ magnétique
Dans cette activité, les étudiants déterminent la charge électrique des particules d’après la déviation de leur trajectoire dans un champ magnétique. Ils comparent aussi la vitesse des électrons, en utilisant le rayon de courbure de leur trace.
Avant d’aborder cette activité, les élèves doivent connaître les faits suivants relatifs à la physique des particules :
Quand une particule chargée se déplace dans un champ magnétique, elle subit une force transversale.
Cette force est perpendiculaire à la direction du mouvement et à celle du champ magnétique. La règle de la main (gauche ou droite) donne la direction de la force.
Cette force est centripète. Et elle provoque une trajectoire circulaire si la vitesse de la particule et le champ magnétique sont maintenus constants.
Quand plusieurs particules chargées de même masse sont ainsi déviées, le rayon de courbure de leur trace augmente avec la vitesse de la particule.
Matériel
Pour cette activité, les élèves n’ont besoin que des figures 1, 2 et 3. Chaque élève ou groupe d’élèves devrait disposer d’impressions en couleur des photos de la chambre à bulles (figures 2 et 3), qu’on peut décharger de la section de matériel additionnel. Dans toutes ces images, les particules entrent dans la chambre de la gauche de l’image, et le champ magnétique sort du plan de la page.
Mode opératoire
Demander aux élèves de suivre le programme ci-dessus, en utilisant les photos données.
Rappeler les règles des mains gauche et droite, en les reliant aux données suivantes :
Direction du mouvement de la particule chargée
Direction du champ magnétique (de nord à sud)
Direction de la force exercée par la particule chargée
Ces règles sont indiquées en figure 1.
Etudier la première photo sur la figure 2, et essayer de répondre aux questions suivantes :
Laquelle des traces colorées correspond à une particule chargée positivement ?
Laquelle des traces colorées correspond à une particule chargée négativement ?
Pourquoi y a-t-il des trajectoires en spirale ?
Il faut rappeler que les particules entrent dans la chambre par la gauche et que le champ magnétique pointe hors de la page.
Observer maintenant la seconde photo sur la figure 3. Et comme ci-dessus, essayer de répondre aux questions suivantes :
Lesquelles des traces colorées numérotées 1, 2, 3 et 4 appartiennent à des particules chargées négativement ?
En supposant que toutes les traces dues aux particules négatives sont causées par des électrons. Classez ces traces dans l’ordre des vitesses décroissantes.
Expliquez vos résultats.
Discussion
Voici les réponses aux questions :
Analyse de la photo 1
Comme les traces des courbes s’incurvent vers le bas, il doit y avoir une force poussant vers le bas de l’image. On cherche alors à appliquer les règles des mains gauche et droite, en utilisant les informations suivantes en provenance de la photo :
La direction de marche de la particule chargée est vers la droite, et c’est le pouce qui désigne cette direction
La direction du champ magnétique (index) est hors de la page vers l’observateur
La direction de la force déviant la particule chargée (majeur) est vers le bas pour la particule bleue
La configuration des doigts n’est possible qu’avec la main droite, donc la trace bleue est causée par une particule positive.
La trace rouge s’incurve vers le haut dans la photo 1. Il doit donc exister une force poussant la particule vers le haut de l’image, ce qu’on analyse ainsi :
La direction de marche de la particule chargée (pouce) est vers la droite.
Le champ magnétique (index) se dirige hors de la page, vers l’observateur
La force déviant la particule (majeur) est dirigée vers le haut
Cette configuration des doigts n’est possible que pour la main gauche. Donc la trace rouge est causée par la particule chargée négativement.
Pourquoi les particules négatives ont-elles des trajectoires en spirale ? Ce comportement est dû au fait que les dites particules subissent des chocs avec les molécules d’hydrogène, et perdent un peu d’énergie à chacune de ces collisions. Leur vitesse décroît, donc le rayon de courbure décroît.
Analyse de la photo 2
L’analyse de la photo 2 permet d’attribuer les traces 1, 2 et 3 à des particules négatives, et la trace 4 à une particule positivement chargée.
L’analyse des vitesses montre que l’électron de la trace 2 est le plus rapide, puisque son rayon de courbure est le plus grand. Il est suivi par celui de la trace 1, et enfin par celui de la trace 3, qui est le plus lent de tous. La relation liant le rayon de courbure et le champ magnétique s’établit ainsi :
On sait que la force FL agissant sur une particule de charge q se déplaçant avec une vitesse v dans un champ magnétique B vaut :
FL = q x v x B
Cette force est équivalente à une force centripète Fc qui conduit à une trajectoire circulaire de rayon r. L’étude des rotations montre que la force à appliquer pour maintenir un objet sur une orbite circulaire dépend de la masse m de l’objet et du carré de sa vitesse vselon la loi :
Fc = m x v2/r
Ces deux forces sont égales, donc :
Therefore: q x v x B = m x v2/r
Donc: r = (m x v)/(q x B)
Ce qui montre que le rayon de courbure est proportionnel à la vitesse de la particule.
NB : Il faut relever ici que les particules sont supposées non relativistes, et donc se déplacent à des vitesses bien inférieures à celle de la lumière. Si les particules se déplacent à des vitesses proches de celle de la lumière, la formule précédente doit être modifiée pour introduire un facteur relativiste. Mais nous n’en parlerons pas ici.
Activité no. 2 : Identification des particules
Ici, les élèves vont utiliser leurs connaissances des caractéristiques de trace pour identifier les particules qui décrivent ces traces.
La table 1 présente trois types de traces typiques d’un type de particules, avec la description de leur particularité unique, qu’on appelle leur signature et les explications au sujet du phénomène qui les a subitement créées dans la chambre à bulles.
Matériel
Pour cette activité, le seul matériel est la table 1 et la figure 4. Et dans cette image, les particules entrent dans la chambre à gauche, et le champ magnétique sort de la page vers l’avant.
Table 1: Signatures des particules avec leurs modes de production
Electron
Création de paires electron-positron
Proton
Trace dite “signature”
Description
Trace incurvée vers le haut, et partant d’une autre trace visible
Doubles traces incurvées l’une vers le bas (positron) et l’autre vers le haut (électron), et semblant partir de nulle part
Trace faiblement incurvée vers le bas, et partant de la trace visible d’une autre particule
Phénomène créant la particule
Une particule chargée heurte un atome H du liquide et éjecte un électron.
Un photon se matérialise en créant une paire électron – positron, mais les photons ne laissent pas de trace.
Une particule chargée heurte un atome H du liquide et en éjecte le proton central.
Mode opératoire
Demander à l’élève d’effectuer les opérations suivantes.
Regarder les signatures de la table 1.
Identifier les traces mises en évidence dans la figure 4
Compléter la table 2, en donnant les raisons de votre choix
Table 2: Identification des particules de la figure 4 à partir de leurs signatures
Electron?
Positron?
Proton?
Explication
Trace verte
Trace bleue supérieure
Trace bleue inférieure
Trace violette
Discussion
Les réponses correctes sont reportées dans la table 3.
Table 3: Comment identifier des particles à partir de leur trace : Réponses
Electron?
Positron?
Proton?
Explication
Trace verte
✓
Trace incurvée vers le haut.
Trace bleue supérieure
✓
Trace incurvée vers le haut.
Trace bleue inférieure
✓
Trace incurvée vers le bas et créée en même temps que la trace d’un électron.
Trace violette
✓
Trace incurvée vers le bas, et démarrant sur une autre trace.
Activité no. 3 : Transformations de particules
L’interprétation des transformations est ce qui a rendu les chambres à bulles célèbres. En effet, bien des particules observées sont instables et se transforment en d’autres particules. Hélas l’analyse de ces transformations, extraite des traces enregistrées, est souvent difficile, parce qu’elle demande des connaissances additionnelles sur les interactions fondamentales décrites dans le Modèle Standard de la physique des particules. Nous allons étudier le modèle simple de la figure 5, que nous allons examiner très pas à pas.
Matériel
Le seul matériel nécessaire est la figure 5. Et comme à l’ordinaire, il faut savoir que les particules entrent depuis la gauche et que le champ magnétique se dirige vers l’observateur.
Mode opératoire
Demandez aux élèves de résoudre les questions suivantes, à l’aide du matériel fourni.
La trace verte appartient à un type de particule dite pion. Et il y en a trois types :
π+ (avec une charge électrique positive)
π− (avec une charge électrique négative)
π0 (sans charge électrique)
Quel type de pion a causé la trace verte ? Expliquez votre réponse.
A la fin de la trace verte, le pion se transforme en deux particules : un anti-muon chargé positivement et un neutrino de muon. Pourquoi est-ce que nous ne voyons qu’une trace, la courte trace bleue, qui prend sa source à la fin de la trace verte ?
L’anti-muon se transforme en une particule que vous devriez reconnaître, et qui donne la trace brune. Laquelle est-ce ? Cette nouvelle particule a une masse inférieure à celle de l’anti-muon, lequel a une masse valant 200 fois celle de l’électron. Expliquez votre réponse.
Discussion
Les réponses devraient être les suivantes :
La trace verte s’incurve vers le bas. Donc c’est une particule positive, qu’on peut identifier à π+.
Les neutrinos n’ont pas de charge électrique. Ils ne peuvent pas ioniser les molécules H2. Donc ils ne laissent pas de traces visibles.
La trace brune est causée par un positron. On reconnaît sa charge par la courbure de la trace dirigée vers le bas. Il est vrai que ce pourrait être un proton. Mais notre particule a une masse inférieure à celle de l’anti-muon, qui vaut 200 fois celle de l’électron. Et les particules instables se transforment en des particules plus légères. Or un proton est 1800 fois plus lourd que l’électron. La trace brune n’est pas celle d’un proton. C’est donc celle de la seule particule connue chargée positivement : le positron. Il faut remarquer que le positron créé ici ne provient pas du même phénomène que dans l’activité no.2, où il y avait création de paires
On trouvera plus d’informations sur cette transformation et le diagramme de Feynmann correspondant dans la documentation du CERN pour étudiantsw2.
Le futur des chambres à bulles
Les activités que nous avons développées ici montrent que les chambres à bulles rendent la physique des particules accessible aux lycéens. En utilisant ces images, les élèves peuvent découvrir et analyser les propriétés des particules eux-mêmes.
Dans l’intervalle, les tentatives continuent pour comprendre les pièces manquantes dans le puzzle de l’Univers. Et hélas les chambres à bulles ne sont plus assez rapides pour suivre les cascades d’événements observés au CERN. Mais récemment, les chambres à bulles ont trouvé une nouvelle application, à savoir la détection de la matière noire, dans le projet PICO du Canadaw3. Ici, le temps relativement lent nécessaire pour prendre une image n’est pas un problème, car personne n’a encore détecté le moindre signal de cette étrange matière noire.
Pour terminer avec une approche complètement différente de la physique des particules, on peut imaginer que les traces en spirale typiques des photos de la chambre à bulle inspirent des créations artistiques, comme les décorations de Noël, ou les collages utilisés pour créer des motifs sur tissu. Peut-être vos élèves auront-ils même d’autres idées encore plus créatives.
w1 – On trouve un cours accessible et solide du Modèle standard de la physique des particules sur le site CERN.
w2 – Le document CERN’s worksheet convient aux étudiants avancés qui voudraient en savoir plus.
w3 – Les documents décrivant la recherche de matière noire à l’aide de chambres à bulle se trouvent sur le site PICO experiment et sur le site Fermilab.
Resources
Regarder une démonstration trop dangereuse pour être effectuée en classe, à savoir le surchauffage d’eau pure au micro-onde.
Le Centre Canadien pour la Visualisation de la Science a créé des applets qui aident à visualiser les concepts de la physique moderne.
On trouve plus d’informations sur les chambres à bulles, avec des images et des exercices pratiques élaborés par les spécialistes du CERN, sur le site CERN HST Bubble Chambers.
Pour trouver des exercices éducatifs et accessibles en ligne, voir le site de Peter Watkins.
Et si l’envie vous prend de construire une chambre à brouillard, voyez :
Julia Woithe est une enseignante de physique et de mathématiques de niveau lycée. Elle gère le S’Cool LAB, qui est le laboratoire d’apprentissage de la physique des particules au CERN. Elle s’intéresse spécialement aux activités liées à l’acquisition des concepts dans ce domaine.
Rebecca Schmidt et Floria Naumann enseignent toutes les deux la physique à Dresde, Allemagne. Elles ont développé une unité d’enseignement des chambres à bulles au cours de leur thèse de master
Review
Cet article fournit une belle occasion d’utiliser des photographies prises en 1972 dans la chambre à bulles du CERN, pour analyser les traces des particules, et en déterminer les caractéristiques.
Les exercices sont clairs et détaillés. Ils permettent une approche tant autodidacte que guidée. L’approche historique du sujet peut être exploitée par des maîtres de sciences gérant des clubs de science. Les exercices peuvent aussi être utilisés en classe, en complément de l’enseignement théorique des particules subatomiques. Les élèves particulièrement créatifs pourraient même s’inspirer de ces images dans un but artistique.
Les exercices de compréhension pourraient se rapporter au début de l’article. On pourrait suggérer des questions comme :
Quelles sortes d’événement les chambres à bulles mettent-elles en évidence ?
Pourquoi les a-t-on remplacées aujourd’hui ?
Indiquer trois sortes de particules subatomiques.
Stephanie Maggi-Pulis, chef du Département de physique, Secrétariat pour l’éducation catholique, Malte.