Un élément sous les projecteurs : le béryllium Understand article

Le béryllium constitue le rêve des ingénieurs : il est extrêmement dur et très léger. Mais il a aussi bien des inconvénients.

Beryllium (symbol Be), the fourth element in the periodic table
Le béryllium (symbole Be),
4ème élément de la table
périodique

Antoine2K/Shutterstock.com
 

Le béryllium est peut-être l’élément le plus étrange de la table périodique. C’est le deuxième métal le plus léger (en masse atomique) après le lithium, et il est étonnament peu réactif si on le compare à ses voisins. Le béryllium est le premier élément du Groupe 2. Mais, à la différence des autres alcalino-terreux, comme le magnésium, le calcium et le strontium, il est très peu réactif avec l’oxygène et les autres réactifs. En fait, ce métal gris foncé serait l’un des éléments les plus utiles de toute la table périodique s’il était plus abondant, et moins toxique.

Alliages et applications

La grande stabilité du béryllium est due à sa propriété de former une mince couche d’oxyde non réactif à sa surface. Liée à sa faible densité, cette propriété lui permet de faire des alliages résistant à la corrosion, comme le cuivre-béryllium. Ces alliages résistent à des contraintes énormes, comme en subissent les rotors d’hélicoptères. Ils remplacent avantageusement les aciers spéciaux en présence de champs magnétiques intenses, dans la transmission radio, ou dans l’imagerie médicale par résonance magnétique (IRM).

Malgré son prix exorbitant, le béryllium connaît quelques applications pointues, à cause de ses qualités techniques exceptionnelles. Car, en plus de sa légèreté et de sa résistance, le béryllium a un coefficient de dilatation thermique très bas. Il ne se déforme presque pas en se refroidissant aux très basses températures comme on en trouve dans l’espace. C’est donc le matériau de choix pour la construction des satellites et de l’aviation supersonique.  Le futur téléscope spatial James Webb, ou JWST, prévu pour remplacer le Hubble, aura des miroirs de béryllium pur. Il sera lancé en 2021. Une fois sur orbite, les 18 hexagones qui constituent le miroir primaire du téléscope seront refroidis à -220°C, afin de minimiser les émissions infra-rouge du miroir lui-même, qui sinon provoqueraient des interférences avec les signaux détectés.

Mirrors for the James Webb Space Telescope undergoing cryogenic (low-temperature) testing
Les miroirs de téléscope spatial James Webb en procédure de test à basse température
Ball Aerospace/Flickr, CC BY-NC-ND 2.0
 

Le béryllium a une autre propriété utile : il est transparent aux rayons X, comme le verre à la lumière. Cette transparence est due au très faible nombre d’électrons de ses atomes. Comme il est l’élément numéro 4 dans la table périodique, ses atomes n’ont que 4 électrons (en plus des 4 protons et en général 5 neutrons de son noyau). Or ce sont les électrons qui interagissent avec les rayons X, en les réfléchissant ou en les absorbant avant de réemettre leurs propres rayons X secondaires. Comme le béryllium n’a que 4 électrons, les rayons X ont peu de chances d’en rencontrer ; ils traversent cette matière presque comme si elle n’existait pas. Bien que l’élément lithium, avec son numéro atomique 3, soit encore plus transparent que lui, il est trop réactif pour remplacer le béryllium dans ses applications techniques.

Données sur le béryllium

  • Nom de l’élément : béryllium
  • Symbole : Be
  • Numéro atomique : 4
  • Masse atomique relative : 9.01
  • Densité : 1.85 g/cm3
  • Point de fusion : 1287°C
  • Groupe de la table périodique : 2, comme les métaux alcalino-terreux.
  • Abondance dans la croûte terrestre : 2 à 6 parties par million.
  • Découverte : Les minéraux contenant du béryllium, comme le béryl et l’émeraude, sont connus depuis l’Antiquité. L’élément lui-même a été identifié en 1798, mais le nom de béryllium ne lui a été attribué que 30 ans plus tard.

Transparence aux rayons X

L’étrange propriété de transparence aux rayons X que possède le béryllium fait qu’on dépose les substances qu’on veut analyser aux rayons X dans des récipients en béryllium. Cette technique est utilisée dans les centres de recherche qui ont recours aux rayons X pour étudier la matière au niveau atomique, comme le Centre européen sur la radiation synchrotron (ESRF)w1 et le Laser européen de rayons X émis par les électrons libres (XFEL)w2. Quand on envoie de fortes impulsions de rayons X sur des objets à étudier, les rayons X sont absorbés ou diffusés selon des lois qui dépendent de la nature de la cible, et qui permettent de l’étudier. Au XFEL, on envoie un très fin pinceau de rayons X sur des cibles qui peuvent être des virus individuels ou des biomolécules. A l’ESRF, le faisceau X permet aux scientifiques  d’étudier la structure moléculaire de la matière en détail.

Dans les sources intenses de rayons X, comme à l’ESRF ou au XFEL, le faisceau X ne doit pas pas entrer en contact avec l’air. La seule façon d’y parvenir sans faire le vide est de mettre des barrières de béryllium sur le trajet des rayons X. Le béryllium protège également les détecteurs de rayons X des autres particules qui pourraient interférer avec les mesures, par exemple dans le spectromètre du XFEL.

Focaliser avec des lentilles de béryllium

De la même façon que les lentilles optiques sont faites d’un verre qui est transparent à la lumière visible, on peut utiliser le béryllium pour focaliser les rayons X. Si on focalise un faisceau X en un point, on augmente l’effet des rayons X sur la cible à examiner.

Pour focaliser des rayons X, il faut des lentilles concaves, ce qui est exactement l’inverse de ce qui se passe avec les lentilles convexes servant à focaliser la lumière visible. Mais comme l’indice de réfraction du béryllium est très faible, il faut empiler plusieurs de ces lentilles pour avoir un réel effet focalisant. Un tel empilement s’appelle une lentille réfractive composée (CRL). Il permet de focaliser des rayons X produit par un laser sur une zone inférieure à un micron, ce qui est 10’000 fois plus fin que le diamètre initial du faisceau.

An engineer works on the compound refractive lens (CRL) unit of an instrument at European XFEL.
Un ingénieur en train de manipuler une lentille CRL au centre européen XFEL.
European XFEL

Rare et dangereux

A part ses qualités exceptionnelles, le béryllium a de sérieux désavantages. Tout d’abord, l’élément est très rare. On ne le trouve que dans le béryl, qui est le constituant des pierres précieuses dites émeraude et aigue-marine. Cette rareté rend le béryllium très coûteux. On ne l’utilise donc que dans les cas d’absolue nécessité. Mais une fois acquis, il va pouvoir servir très longtemps sans s’user. Les rayons X ne l’endommagent pas.

A raw, uncut crystal of aquamarine, a gemstone containing beryllium
Echantillon brut non taillé d’aigue-marine (de formule Be3Al2(Si6O18)), pierre précieuse contenant du béryllium
greyloch/Flickr, CC BY-SA 2.0
 

Un autre problème génant est que le beryllium est toxique. L’inhalation de traces de poussières de béryllium cause la bérylliose, qui est une maladie incurable, avec des symptômes semblables à la pneumonie, et qui peut dégénérer en cancer. Donc, quand on doit manipuler du béryllium, on doit prendre des précautions particulières pour empêcher que la poussière ne se répande dans l’environnement. On n’usine donc pas ce métal, mais on le fond et on le coule dans des moules qui ont la forme des lentilles désirées.

Ainsi, bien que le béryllium soit riche en possibilités d’emploi, sa rareté et les risques qu’il pose font que son emploi ne peut être envisagé que pour des applications exceptionnelles et coûteuses. Et il faudra toujours tenir compte de la toxicité de cet élément métallique hors du commun.

Découverte du neutron

Le beryllium a joué un role crucial dans la découverte du neutron en 1932. Quelques années auparavant, les scientifiques avaient observé que le béryllium émettait un rayonnement étrange lorsqu’il était bombardé par des particules alpha. Comme ce rayonnement n’avait pas de charge, à la différence des particules subatomiques connues de l’époque (électrons et protons), on en avait déduit qu’il devait être formé de rayons gamma, donc de photons très énergiques. Mais l’énergie de ces rayons n’était pas du tout celle des rayons gamma. En 1932, l’Anglais James Chadwick répéta l’expérience et conclut que ce rayonnement était consituté d’une particule subatomique non chargée, le neutron. Il réussit même à en mesurer la masse, qu’il a trouvée presque égale à celle du proton. En 1935, James Chadwick a obtenu le Prix Nobel de physique pour sa découverte.

Remerciements

Les auteurs aimeraient remercier Dr Peter Zalden, scientifique instrumental au XFEL, pour les informations qu’il a fournies lors de la rédaction de cet article.


Web References

  • w1 – Situé à Grnoble, France, le ESRF est la source de rayonnements X la plus intense du monde, et un centre d’excellence  pour la recherche fondamentale sur la matière tant vivante que condensée. Le projet dit de Source Extrêmement Brillante, planifié pour 2022, aura une brillance et une cohérence 100 fois plus grande qu’aujourd’hui, et permettra une meilleure compréhension des matériaux.
  • w2 – European XFEL est un centre de recherches de la région de Hambourg, Allemagne.  Ses éclairs extrêmement intenses de rayons X sont utilisés par des chercheurs du monde entier pour étudier la structure et le comportement des matériaux au niveau atomique, et à des temps très brefs.

Resources

  • On trouvera davantage d’înformations sur le béryllium et ses usages, sur le site Beryllium Science and Technology Association (BeST).
  • Et voici un ouvrage court mais complet  sur le béryllium et ses applications :
    • Adair R (2007) Beryllium. Rosen Central, New York. ISBN: 1404210032
  • Il existe une video sur le béryllium et ses usages, avec une explication détaillée des fenêtres de béryllium du synchrotron MAX-lab de Suède. Cette vidéo fait partie de la série ”Table périodique des vidéos” de l’Université de Nottingham.
  • Le James Webbs Space Telescope est issu de la collaboration entre la NASA, le European Space Agency (ESA) et l’Agence Spatiale du Canada. Le miroir primaire de béryllium est décrit en detail sur le site NASA.
  • La Royal Institution de Grande-Bretagne a édité une video sur l’emploi du béryllium dans le JWST.
  • La découverte du neutron est décrite en détail sur le site de l’American Physical Society website.
  • On trouvera des informations générales sur tous les éléments dans le livre :
    • Gray T (2009) The Elements: A Visual Exploration of Every Known Atom in the Universe. Black Dog & Leventhal Publishers, Inc., New York. ISBN: 1603764054​

Institutions

Author(s)

Joseph W Piergrossi est un écrivain scientifique basé à Hambourg, Allemagne. Il a obtenu un diplôme de master en éducation à l’Universoité de Géorgie, USA, et un autre en journalisme scientifique à Boston University, USA. Il a enseigné la physique et les sciences de l’environnement aux USA. Depuis 2013, il fonctionne comme communicateur scentifique au XFEL européen à Schenefeld, Allemagne.

Montserrat Capellas Espuny est une spécialiste de la communication scientifique à l’ESRF.  Elle écrit des articles sur la science et ses applications dans le cadre du projet Humans of ESRF project, qui décrit le travail des collaborateurs de l’ESRF, à l’occasion du 30ème anniversaire de ce centre d’études.

Review

Dans la table périodique, il y a beaucoup d’éléments qui sont mal connus, et qui pourtant ont de nombreuses applications. C’est le cas du béryllium, sur lequel l’article du jour s’est penché.

Avant de lire l’article, les étudiants pourraient réfléchir aux métaux qu’ils connaissent, et sur l’évolution de leurs applications au cours des temps. L’article pourrait alors servir de point de départ pour discuter de l’usage des autres éléments rares dans notre société. Il pourrait aussi aider à prendre conscience du coût extrêmement élevé de leur obtention et de l’importance du recyclage.

Voici quelques questions de compréhension potentielles :

  • Quel est le nombre atomique du béryllium ? Où est-il situé dans la table périodique ?
  • Pourquoi le béryllium est-il si différent des autres éléments de la même colonne ?
  • Pouvez-vous citer cinq propriétés du béryllium ?
  • Pouvez-vous décrire en détail trois applications du béryllium ?
  • Pourquoi n’emploie-t-on le béryllium que quand c’est absolument nécessaire ?
  • Quel rôle a joué le béryllium dans la découverte du neutron ?

Mireia Güell Serra, maître de chimie, Ecole de INS Cassà de la Selva, Esoagne

License

CC-BY

Download

Download this article as a PDF