Le molybdène en pleine lumière Understand article

Traduit par Maurice Cosandey. Cet élément peu connu a plus d’applications qu’on pourrait le croire. Cela va des épées de samouraï aux plants de tomate.

Echantillon de molybdénite,
provenant de la mine Climax,
dans le Colorado, USA
.
James St. John / Flickr

Parmi les quelque 90 éléments chimiques qu’on trouve dans la nature, certains sont familiers, comme les métaux précieux que sont l’or et le platine, ou comme l’oxygène de l’air et le carbone qui forme les molécules de la vie. Beaucoup d’éléments sont moins familiers. Mais certains des membres les plus obscurs de cette longue famille mériteraient d’être mieux connus.

Dans cet article, nous nous proposons de mettre en pleine lumière un de ces éléments méconnus, le molybdène, et de révéler tant son histoire unique que ses caractéristiques.

Le molybdène, c’est quoi ?

Au premier regard, le molybdène n’a rien de remarquable. C’est un métal gris, dur, 30% plus lourd que le fer. Il ne se trouve dans la nature que sous forme de composés, en général la molybdénite MoS2. Et bien qu’il soit connu depuis très longtemps, l’histoire de son identification a commencé dans la confusion..

Le mot “molybdène”  vient du grec “molybdos” qui désigne le plomb. En effet, la molybdénite permet, comme le plomb et le graphite, de laisser une marque sur des surfaces dures. On l’a donc longtemps confondu avec le plomb. Il a fallu attendre la fin du 18ème siècle, et l’apparition de la chimie moderne, pour que les scientifiques suspectent que la molybdénite était peut-être une autre substance. En 1778, le chimiste suédois Carl Wilhelm Scheele – qui a participé à la découverte de l’oxygène et d’autres éléments – a montré que la molybdénite était en réalité le sulfure d’un élément nouveau, non encore identifié. Le métal a été isolé pour la première fois en 1781 par un autre chimiste suédois, Peter Jacob Hjelm. Mais il n’a été obtenu pur que longtemps après.

Sur Terre, le molybdène n’est vraiment pas abondant. Il occupe la 53ème place parmi les éléments de la croûte terrestre. On ne l’a jamais trouvé à l’état pur sur Terre, mais bien sur la Lune. En effet, la mission russe Luna 24 en a ramené un mini-grain au retour de sa mission lunaire de 1976. Et si le molybdène est si rare, sur Terre et dans l’espace, c’est qu’il n’a pas été créé par le processus de fusion dans les étoiles. Comme tous les éléments plus lourds que le fer, il n’a pu être créé que dans l’explosion d’une supernova

Le pont en hélice de Singapour, construit avec un alliage contenant 2% de molybdène.
Nicole Kinsman / IMOA

 

Données sur le molybdène

  • Nom : molybdène
  • Numéro atomique : 42
  • Masse atomique relative : 95.96
  • Densité : 10.22 g/cm3
  • Point de fusion : 2623 °C
  • Coefficient de dilatation thermique : 4,8 · 10-6  K-1 à 25°C
  • Valences: Degrés d’oxydation de –II à VI

Caractéristiques spéciales

La caractéristique physique la plus remarquable du molybdène est son point de fusion très élevé, qui est 1000°C plus élevé que celui du fer, et son très faible coefficient de dilatation. Le molybdène fournit donc un matériau de choix pour les outils destinés à travailler dans des fours à très haute température. On l’a utilisé jusqu’à récemment comme support du filament de tungstène dans les ampoules chauffées à l’incandescence.

Chimiquement, le molybdène est proche du tungstène, qui est situé juste au-dessous de lui dans la table périodique. Il forme comme lui des alliages très durs avec le fer et d’autres éléments. De plus, le molybdène peut, comme tous les atomes de transition, former des composés avec plusieurs degrés d’oxydation. Ceci est dû au fait que les atomes de transition ont de la place non seulement dans leur couche électronique externe, mais aussi dans les couches plus profondes, car les niveaux d’énergie de ces états se recouvrent en partie. Cet arrangement fluide est à l’origine du rôle essentiel que joue le molybdène comme porteur d’électrons dans la chimie des êtres vivants, car il peut servir de réducteur et d’oxydant en même temps.

L’élément molybdène Mo, et sa place dans la table périodique
Antoine2K / Shutterstock.com

Un élément vital

Le molybdène est un oligo-élément essentiel en traces, et c’est le seul qui appartienne à la seconde période des atomes de transition, qui va de l’yttrium (Z = 39)  au cadmium (Z = 48). Les enzymes contenant du molybdène se rencontrent aussi bien dans les bactéries que dans les archae, qui sont les formes les plus primitives des organismes vivants. Certains scientifiques se basent sur ce fait pour penser que le molybdène pourrait avoir été présent à l’origine de la vie sur Terre, et aussi dans l’ultime ancêtre commun à tous les êtres vivants, animaux ou végétaus.

Quoi qu’il en soit, il est clair que les enzymes au molybdène sont essentiels aux plantes. Il existe des plantes qui sont capables de fixer l’azote de l’air, grâce à des bactéries fixées sur leurs racines. Ces bactéries utilisent l’enzyme nitrogénase pour capter l’azote et le transformer en acides aminés et autres composés azotés. Or cet enzyme contient du molybdène (Hernandez, 2009), Les plantes peuvent aussi utiliser d’autres composés azotés présents dans le sol, comme les nitrates, grâce à une autre enzyme à base de molybdène, la nitrate réductase. Le rôle essentiel du molybdène pour la croissance des tomates a été établi pour la première fois en 1939 (Arnon & Stout, 1939).

Plantes de tomate présentant une déficience en molybdène. En A à gauche et en B au centre puis à droite, la feuille de tomate présente une déficience en molybdène, par rapport à la feuille normale, visible en A à droite et en B à gauche. (Tiré de Arnon & Stout, 1939)
Avec l’autorisation de American Society of Plant Biologists
 

Les animaux ont également besoin de molybdène. Le corps humain consomme 45 microgrammes de molybdène par jour, qu’il trouve dans le lait, les noix et les légumes. 1 kg de légumes déshydratés contient 1 mg de molybdène. Ce métal est inclus dans plusieurs enzymes, dont la sulfite oxidase. Cet enzyme détruit le sulfite issu de la dégradation des acides amines, et prévient donc une accumulation potentiellement mortelle dans le corps. Un autre enzyme à base de molybdène est la xanthine oxidase, dont le rôle est plus discutable, car il transforme la xanthine présente dans les viandes en acide urique, lequel s’élimine par les reins. Mais il arrive que cet acide se dépose dans les articulations et les tendons en causant une maladie très douloureuse, la goutte.  On traite alors cette maladie par les inhibiteurs de la xanthine oxidase .

De nombreux légumes, comme les haricots, contiennent du molybdène, mais en une quantité qui dépend du sol dans lequel ils croissent.
Susan Watt

Technologie et industrie

Les Japonais du 14ème siècle connaissaient le molybdène. En effet, l’analyse d’une épée de samouraï datant de cette époque a révélé qu’elle contenait du molybdène, ce qui semble expliquer la dureté et le tranchant légendaire de ces lames.

A l’ouest, la première application industrielle connue du molybdène date de la fin du 19ème siècle, quand on a cherché un substitut au tungstène qui devenait rare, et dont on avait besoin pour faire des aciers très durs. La principale mine de molybdène s’est ouverte en 1915 à Climax, Colorado, et elle a fourni les trois quarts du molybdène mondial pendant quelques décennies.

Mine de molybdène de Climax, Colorado, USA.
Gord McKenna / Flickr
 

Le molybdène a d’abord servi aux Allemands pendant la 1ère Guerre Mondiale pour faire des canons, des obus, des écrans de protection militaire et des pièces de sous-marins. En effet, l’addition de 1-2% de molybdène à de l’acier ordinaire augmente tellement la résistance d’un acier que des obus capables de percer un écran de 75 mm d’acier ordinaire ne parviennent pas à percer une plaque de 25 mm d’acier au  molybdène. Bien entendu, ce “secret de l’acier allemand” a très vite été copié dans les autres pays.

Le molybdène aujourd’hui

De nos jours, on utilise toujours le molybdène pour fabriquer des aciers résistants, même si ce n’est plus à but militaire. Les boîtiers de smartphone sont en acier au molybdène 316L ; ils sont durs, résistent à la corrosion, et ne provoquent pas d’allergie comme l’inox au nickel. On les utilise donc en bijouterie, et pour faire des piercings.

Les composés de molybdène sont très souvent utilisés en électronique. Ils constituent la face arrière des écrans tactiles qu’on trouve dans les tablettes, consoles et autres smartphones. On les utilise aussi dans les écrans à cristaux liquides et dans les panneaux solaires.

Les alliages nickel-fer-molybdène dits “permalloy” forment des écrans qui protégent les circuits électriques des perturbations dues aux champs magnétiques extérieurs. On les a utilisés dans les missions envoyées vers Mars, Jupiter et Saturne. Par exemple, la mission Cassini-Huygens a utilisé cet alliage pour protéger le spectromètre de masse installé à bord et qui devait fonctionner pendant sa traversée de l’atmosphère de Saturne et de ses satellites. Qui sait si le molybdène ne permettra pas un jour de détecter de la vie sur une autre planète, comme il a contribué à le faire sur Terre ?

Image illustrant le passage de Cassini à travers les anneaux de Saturne.
ESA

Remerciements

Les auteurs aimeraient remercier Dr Ulrike Kappler pour son avis sur cet article.


References

Resources

  • On  trouvera une étude détaillée du molybdène au niveau élémentaire dans :
  • Lepora N (2007) The Elements: Molybdenum. New York, USA; Marshall Cavendish. ISBN: 0761422013
  • On en apprendra davantage sur la chimie du molybdène dans Molybdenum in the periodic table.
  • Voir aussi le site de l’Association internationale du Molybdène International Molybdenum Association pour ses applications et son rôle en biologie.
  • L’emploi du molybdène dans l’industrie est bien décrit dans le site de HC Starck.
  • La synthèse des éléments dans les étoiles est décrite dans:
  • Rebusco P, Boffin H, Pierce-Price D (2007) Fusion in the Universe: where your jewellery comes from. Science in School 4: 52-56.

Author(s)

Anastasiia Batsmanova étudie et Dr Mikhail Liabin est professeur associé au Département de bioengineering et de bioinformatique de l’Université de Volgograd, Russie. Stepanova Yelizaveta Dmitrievna enseigne dans le Département  des langues étrangères de la même université.

Susan Watts est un écrivain scientifique et éditeur de Science in School. Elle possède un diplôme en sciences naturelles et a écrit plusieurs manuels scolaires sur les éléments chimiques.

Review

Cet article pourrait être utilisé pour approfondir la connaissance du molybdène, qui est peut-être l’un des éléments les moins connus. Il peut aussi servir de point de départ pour discuter du rôle essentiel de ces oligoéléments dans la vie, et pour prendre conscience de l’importance de la recherche dans le développement de la technologie.

Quelques questions à poser aux élèves :

  • Citer le nom de deux scientifiques impliqués dans la découverte du molybdène. Expliquer leur rôle dans cette découverte.
  • Pourquoi le molybdène convient-il bien pour faire du matériel résistant à de hautes températures ?
  • Pourquoi les enzymes sont-elles essentielles aux plantes ?
  • Pourquoi les épées de samouraï contiennent-elles du molybdène ?
  • Citer trois produits courants qui contiennent du molybdène.

Mireia Güell Serra, maître de chimie, INS Cassà de la Selva, Espagne

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