La physique inspirée: enseigner en Autriche Inspire article
Traduit par Camille Ducoin. Des gyromobiles, des chats gymnastes et une gifle au ralenti. Lucy Patterson a rencontré Rudolf Ziegelbecker, un enseignant de physique autrichien qui raconte comment il stimule l'imagination de ses élèves, y compris les plus réfractaires à la physique.
Enseigner à des élèves récalcitrants est un défi, même pour les meilleurs pédagogues. Rudolf Ziegelbecker enseigne la physique dans un lycée autrichien spécialisé dans l’ingénierie civile, l’art et le designw1. Le cursus étant fortement orienté vers la formation professionnelle, il n’est pas facile d’intéresser les élèves à des sujets plus académiques tels que la physique. “Beaucoup des élèves qui ont choisi de venir étudier les arts dans notre école ne sont pas bons en maths ni en sciences, mais ils sont obligés de faire de la physique pendant les trois premières années d’un cursus de cinq ans. Il n’est pas étonnant que certains d’entre eux n’aient pas vraiment envie d’apprendre.
Rudolf aime partager son enthousiasme pour la physique et encourager les élèves à développer leurs propres idées. Ceci lui a valu d’impressionnantes réussites au fil des ans, souvent en collaboration avec des collègues d’autres disciplines: construire un pont en papier capable de porter jusqu’à 1.6 tonnes, des bateaux suffisamment légers pour flotter sur du gaz de CO2, des bateaux en papier innovants pouvant porter plusieurs kilos bien qu’ils ne pèsent que 10 grammes; concevoir une centrale hydroélectrique viable pour la rivière locale, ainsi qu’un véhicule aérodynamique (en forme de poisson) qu’ils ont testé en soufflerie faite-maison…
L’un des projets récompensés fut le gyromobile: avec huit élèves volontaires du club de physique de l’après-midi, Rudolf a conçu et construit un engin télécommandé d’un mètre de long, capable de s’équilibrer automatiquement sur ses deux roues. Le gyromobile a été exposé lors de manifestations scientifiques, et présenté à Science on Stage 2000w2, il a fait une apparition télévisée durant la semaine de la science en Autriche en 2003, traversant la rivière locale (Mur) en équilibre sur la rambarde du pont principal de Graz. Le projet a eu un fort impact sur le lycée et les élèves impliqués: “Cela m’a permis de réaliser que l’impossible est parfois possible”, déclare l’un des élèves.
En 2002-2003, Rudolf et ses élèves se sont attaqués à un autre projet: “le chat tournant”. L’objectif était de réaliser un robot capable de simuler un chat se retournant pour tomber sur ses pattes, sans changer de moment angulaire total (zéro). Après une série de prototypes, l’équipe a conçu et réalisé ce que Rudolf pense être “le seul modèle de chat télécommandé au monde”. Répondant à la télécommande, il peut tourner durant une chute libre et atterrir parfaitement droit (sur coussins). Ce projet a été plusieurs fois primé et récompensé; il est encore fièrement exposé à chaque journée portes ouvertes du lycée.
Rudolf raconte aussi l’histoire d’une jeune fille timide qui n’avait pas osé dire à son professeur précédent qu’elle s’intéressait à la physique. Quand un élève s’est retiré de l’équipe du lycée pour le Tournoi des Jeunes Physiciens Autrichiensw3, Rudolf lui a proposé de le remplacer. Il l’a entraînée avec succès, et elle a même rejoint l’équipe représentant l’Autriche dans une compétition internationale en Australiew4.
Inspirée par une expérience de “téléphone à cordon” qu’elle avait effectuée pour le tournoi, elle a proposé pour son diplôme de Matura un projet montrant un grand esprit pratique: “Alors qu’elle traversait le pont pédestre de Graz avec une camarade de classe, les deux amies se sont aperçues qu’il semblait résonner beaucoup, et elles ont décidé de faire leur projet sur la résonance des ponts.” Elles ont emmené leurs amis et leurs familles au pont original pour en mesurer la résonance, et l’ont testé à tel point que l’enseignant encadrant le projet a décidé d’interrompre l’expérience de peur que le pont ne s’écroule! Elles ont fait part de leurs résultats aux autorités de la ville de Graz. En conséquence, le pont a été fermé, testé par des analystes de tensions, et ré-ouvert seulement après que la résonance eut été amortie à l’aide de masses couplées par cordage, que l’on peut encore voir sous le pont aujourd’hui”, dit Rudolf.
Plus récemment, Rudolf et ses élèves ont participé au concours national “Jugend innonativ” 2010w5, qui récompense une invention réalisée par des élèves du secondaire à partir de 15 ans. “J’ai démarré le projet avec deux classes, mais après quelques semaines les autres classes s’y sont intéressées aussi; elles ont finalement participé et contribué au rapport final.
Nous n’avons pas gagné de prix, mais cela a été une expérience précieuse pour les élèves. Nous avons utilisé une caméra rapide à bas prix pour filmer différents effets, depuis les vibrations d’un bande de caoutchouc tendue ou le départ d’un tir de sarbacane, jusqu’à l’explosion d’une bombe à eau, ou les répercussions (scientifiques) de l’impact d’une main de fille sur la figure d’un garçon (sans ma permission! Mais cela leur a au moins permis de s’intéresser à la science). Les films ont ensuite été passés au ralenti afin que les élèves analysent l’image et comprennent les effets physiques impliqués.”
Ce projet est parvenu à impliquer certains des plus “anti-physique” parmi mes élèves de seconde année de design graphique, ceux qui ont l’intention de pouruivre une carrière en art et sont convaincus qu’ils n’auront plus jamais à se servir de la physique. J’ai fait appel à leur fierté, en montrant ce que les étudiants en art de première année avaient accompli. Cela a stimulé leur intérêt.
Ils ont repris l’une des idées, qui consistait à observer une goutte tombant sur une surface d’eau, et ils ont effectué leurs propres expériences. Bientôt, toute la classe s’est trouvée impliquée dans une discussion scientifique sur le fait que, quand la goutte frappe la surface, une chaîne de gouttelettes rebondit. Cela a soulevé des questions comme: “quelle portion de l’énergie et du volume initiaux se retrouve dans ces gouttes secondaires? Sont-elles composées du même liquide que la première? L’effet est-il dû à la tension de surface, à la réflexion des ondes, ou à la pression hydrostatique?”
“Pour la réussite du projet, il était essentiel que presque toutes les idées viennent des élèves. Le retour a été vraiment positif: ceux qui étaient les plus sceptiques et dédaigneux à l’origine sont devenus à la fin du projet beaucoup plus respectueux (envers moi et les cours), mais surtout ils semblaient s’être découvert un intérêt nouveau pour la physique! Et cela a l’air de durer.”
Un genre d’école particulier
Lorsqu’ils terminent l’ “école moyenne”, à l’âge de 14 ans, les élèves autrichiens ont encore une année de scolarité obligatoire. S’ils veulent aller à l’université, ils peuvent faire quatre ans de lycée afin de passer la Matura (examen final du secondaire, obligatoire pour intégrer l’université). Sinon, ils peuvent passer trois ou quatre ans en lycée professionnel, ou bien cinq ans dans un lycée technique combiné, qui donne une formation professionnelle et permet également de passer la Matura. C’est à cette dernière catégorie qu’appartient la HTBLVA Ortweinschulew1 de Graz, qui reçoit des élèves âgés de 14 à 19 ans souhaitant se spécialiser dans l’ingénierie civile, l’art et le design.
Web References
- w1 – Pour en savoir plus sur la HTBLVA Ortweinschule de Graz, visitez le site: www.ortweinschule.at
- w2 – Physics on Stage (aujourd’hui Science on Stage) est une initiative européenne visant à encourager les enseignants de toute l’Europe à partager les meilleures méthodes d’enseignement des sciences. Voir: www.scienceonstage.eu
- w3 – Pour en savoir plus sur le Tournoi des Jeunes Physiciens Autrichiens, allez sur: www.aypt.at
- w4 – Pour plus d’informations sur le Tournoi International des Jeunes Physiciens: www.iypt.org
- w5 – Le site du concours ‘Jugend innovativ’ fournit davantage d’informations sur cette compétition autrichienne adressée aux élèves du secondaire: www.jugendinnovativ.at