Maîtriser l’énergie solaire : les réacteurs à fusion Understand article

Traduit par Ruby Veerapen. Une énergie renouvelable, propre et illimitée – comment y parvenir ? Christine Rüth de l’EFDA nous présente le tokamak, bijou de la technologie de fusion.

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l’aimable autorisation de Rita
Thielen /Pixelio

Le Soleil produit d’impressionnantes quantités d’énergie grâce à la fusion de noyaux atomiques pour créer des particules plus lourdes. Si les scientifiques réussissaient à mettre en œuvre ce processus de façon durable sur Terre, nous aurions une source d’énergie presque inépuisable et respectueuse du climat. Une centrale à fusion de 1 gigawatt ne consommerait que 250 kilogrammes de combustible par an et produirait de l’électricité sans émettre de dioxyde de carbone. Une centrale à charbon de même capacité brûle chaque année 2,7 mégatonnes de charbon.

Par ailleurs, contrairement à la fission, la fusion n’est pas une réaction en chaîne ce qui, facteur rassurant, en fait un procédé sûr par nature : pour arrêter une réaction de fusion, il suffit d’arrêter l’apport en combustible. De plus, bien que certains éléments d’un réacteur à fusion deviennent radioactifs lors du processus, cette radioactivité est de courte durée : les matériaux peuvent être éliminés sans danger après 100 ans, une période bien moins longue que les plusieurs milliers d’années nécessaires dans le cas d’un réacteur à fission (pour plus de détails voir Warrick, 2006).

Figure 1 : Une centrale à
fusion assurera la fusion de
noyaux de tritium (deux
neutrons en bleu, un proton
en rouge) et de deutérium
(un neutron et un proton),
pour produire un noyau
d’hélium-4 et un neutron
très énergétique.

Image reproduite avec
l’aimable autorisation de
l’EFDA-JET

Cela fait plus de 30 ans que les scientifiques de la plus importante expérience européenne de fusion, la Joint European Torus (JET) en cours à Culham au Royaume-Uni, travaillent sur l’énergie de fusion. Des progrès considérables ont déjà été réalisés. L’expérience JET a toutefois encore besoin de plus d’énergie qu’elle en produit – défaut majeur pour une centrale. La prochaine étape sera l’expérience ITER dont le lancement est prévu pour 2019. ITER devrait être la première expérience à produire un net surplus de puissance – 500 mégawatts en sortie pour 50 mégawatts en entrée (voir Warrick, 2006). Ceci prouverait la viabilité des centrales à fusion.

Mais comment la fusion fonctionne-t-elle ?

Pour réaliser la fusion sur Terre, les scientifiques ont choisi la plus efficace des réactions se produisant dans le Soleil, à savoir la fusion de deux isotopes d’hydrogène : le deutérium et le tritium. Cette réaction produit un noyau d’hélium-4 et un neutron possédant 80 % de l’énergie de fusion (Figure 1). Ces neutrons énergétiques sont alors capturés dans le mur d’acier du réacteur à fusion qui transfère la chaleur aux fluides de refroidissement au sein même du mur, ce qui, par suite, entraîne une turbine qui produit de l’électricité.

Le dispositif de fusion

Figure 2: Schéma de section
du tokamak de l’expérience
JET montrant l’anneau en
acier entouré de huit
imposantes bobines de
cuivre produisant les champs
magnétiques. La personne à
gauche donne une idée de la
taille du dispositif.

Image reproduite avec
l’aimable autorisation de l’EFDA

À ce jour, le dispositif de fusion le plus à la pointe de la technologie est le tokamak. Au centre du tokamak se trouve le réacteur, un anneau en acier possédant de nombreuses ouvertures (pour le chauffage, les mesures et d’autres systèmes) et un mur interne garni de tuiles amovibles thermorésistantes (Figure 2). Pour lancer le processus de fusion, l’anneau est soumis à un vide extrême – dans le cas de l’expérience JET, la pression est d’environ 0,00000001 mbar – et quelques grammes de deutérium et de tritium à l’état de gaz sont injectés. Le gaz est chauffé jusqu’à dépasser les 10 000 °C, température à laquelle les électrons se détachent de leurs noyaux. Ce gaz ionisé s’appelle le plasma. Il s’agit du quatrième état de la matière, état à la base de la production d’énergie de fusion.

Conditions permettant la fusion

Le Soleil, tel que vu par le
télescope EIT (Extreme
ultraviolet Imaging
Telescope) situé à bord de
l’observatoire spatial SOHO
(Solar and Heliospheric
Observatory), en orbite à 1,5
million de kilomètres de la
Terre.

Image reproduite avec
l’aimable autorisation de l’ESA,
de la NASA et de l’équipe
SOHO/EIT

Déclencher la fusion de noyaux n’est pas une mince affaire : ces derniers ont une charge positive et se repoussent. Pour assurer la fusion, une collision à très grande vitesse est nécessairew1. Or, plus la température est élevée, plus une particule a de vitesse. Le plasma doit donc atteindre plusieurs millions de degrés Celcius avant que le processus de fusion ne démarre. Bien que le plasma perde de l’énergie en périphérie, il peut se maintenir à une température élevée en absorbant l’énergie transportée par les noyaux d’hélium produits par la réaction. Ce processus de fusion autosuffisant peut perdurer aussi longtemps que du combustible est injecté. Le vrai défi est d’atteindre cet état et d’allumer le plasma. Pour l’allumage, le plasma doit être suffisamment chaud et suffisamment dense (afin que le taux de réaction de fusion soit suffisant). Il doit aussi pouvoir conserver son énergie suffisamment longtemps – cette dernière condition est appelée « temps de confinement ».

Le produit des trois paramètres – température, densité et temps de confinement – est appelé le triple produit,un paramètre déterminant en science de la fusion. Généralement, pour que la réaction de fusion démarre, le plasma doit atteindre entre 100 et 200 millions de degrés Celcius, avoir une densité d’environ 1020 particules par mètre cube (environ 1 mg/m3, soit un millionième de la densité de l’air) et être confiné dans cet état pendant 3 à 6 secondesw2. Atteindre une telle température semble difficile, mais le chauffage n’est pas le problème (voir ci-dessous). La véritable difficulté est d’obtenir un temps de confinement adéquat – en maintenant cette température (et cette densité) –, car le plasma perd rapidement à la fois énergie et particules (elles-mêmes porteuses d’énergie).

Comment le tokamak fonctionne-t-il ?

1) Confiner le plasma : les champs magnétiques

Pour maintenir une température élevée et protéger les murs du réacteur (qui, sinon, s’éroderaient rapidement), il est nécessaire de maintenir le plasma éloigné de ces murs. Pour ce faire, les scientifiques de la fusion exploitent la force de Lorentz que subit toute particule chargée en mouvement, sous l’effet d’un champ magnétique. Cette force, perpendiculaire à la fois à la direction de déplacement de la particule et au champ magnétique, entraîne la particule dans un mouvement de rotation autour de la ligne de champ magnétique. Ainsi, la particule réalise des spirales autour de la ligne de champ, électrons et noyaux se déplaçant dans des directions opposées (Figure 3).

Figure 3: Un champ magnétique B exerce une force sur les particules chargées en mouvement. L’intégralité de la force électromagnétique subie par une particule chargée possédant une charge q et une vitesse v est appelée « force de Lorentz ». Elle est définie par l’équation suivante :
F = qE + qv × B
Le premier terme (qE) correspond à la contribution du champ électrique. Le deuxième terme (qv x B) correspond à la force magnétique et a une direction perpendiculaire à la fois à la vitesse v et au champ magnétique B. La force magnétique est proportionnelle à q et à la norme de v × B. En termes d’angle ϕ entre v et B, l’intensité de la force est égale à qvBsinϕ.
(Source: Encyclopædia Britannica Online (magnetic force: moving charges). Encyclopédie consultée le 23 janvier 2012. www.britannica.com/EBchecked/media/1319/
Magnetic-force-on-moving-charges
)

A: Des particules chargées en mouvement dans un champ magnétique sont soumises à la force de Lorentz et décrivent des spirales autour des lignes de champ. Des particules de charges positives et négatives décrivent des spirales de sens opposés.

B: Mouvement des particules en l’absence de champ magnétique.
Image fournie par l’EFDA

Figure 4: L’association de
plusieurs groupes de bobines
et d’un courant de plasma
crée un champ magnétique
hélicoïdal qui confine le
plasma. Les bobines de
champ poloïdal situées à
l’intérieur du solénoïde
central induisent un courant
de plasma. Cliquer sur
l’image pour l’agrandir
.
Image reproduite avec
l’aimable autorisation de l’EFDA

Le dispositif de confinement magnétique le plus à la pointe de la technologie est le tokamak, une chambre à vide en forme d’anneau, entourée de bobines. Un courant électrique passe par un des groupes de bobines (les bobines de champ toroïdal, Figure 4) et génère un champ magnétique en forme d’anneau (le champ toroïdal). La force de ce champ toroïdal n’est pas uniforme au sein de l’anneau, car les bobines sont plus proches les unes des autres du côté intérieur du tore (anneau). Par conséquent, les particules subissent une force de Lorentz supérieure du côté intérieur de la ligne de champ autour de laquelle elles tournent. Elles s’éloignent donc progressivement de leur ligne de champ en direction du bord du plasma.

Pour diminuer cet effet, un second champ magnétique, le champ poloïdal , est généré. Le champ magnétique hélicoïdal qui en résulte s’enroule en spirales autour du plasma et le maintient confiné de façon très efficace. La façon la plus simple de générer un champ poloïdal est d’utiliser un courant de plasma.

Le champ poloïdal est généré lorsque des particules de plasma voyagent le long de l’anneau autour des lignes de champ toroïdal – électrons et ions se déplaçant dans des directions opposées. Comme dans le cas d’un fil conducteur, ce courant crée autour de lui-même un champ magnétique en forme d’anneau. Le courant est induit par un transformateur où le plasma lui-même agit comme une bobine secondaire entourant une large bobine primaire (les bobines de champ poloïdal internes). Mais le plasma a tendance à dériver verticalement. Pour réguler sa position et sa forme, on utilise un champ magnétique supplémentaire créé par des bobines de champ poloïdal externes.

2) Chauffage

Pour chauffer le plasma jusqu’à 100-200 millions °C, les scientifiques de la fusion utilisent trois systèmes complémentaires (Figure 5).

Figure 5: Pour obtenir un
plasma de 100-200 million
°C, trois systèmes de
chauffage complémentaires
sont utilisés : le chauffage
par effet Joule, l’injection de
faisceaux de particules
neutres et le chauffage à
haute fréquence. Cliquer sur
l’image pour l’agrandir
.
Image reproduite avec
l’aimable autorisation de l’EFDA
  1. Le courant de plasma produit lui-même de la chaleur (chauffage par effet Joule) ‒ tout comme un fil conducteur chauffe lorsqu’un courant électrique le traverse.
  2. Des faisceaux de particules hautement énergétiques, habituellement des atomes d’hydrogène, sont injectés dans le plasma où ils transfèrent par collision leur énergie aux particules de plasma (un peu comme lorsqu’une boule de billard vient frapper à grande vitesse une boule plus lente provoquant ainsi l’accélération de cette dernière). Le faisceau de particules est généré en utilisant une haute tension pour accélérer des ions. Comme les particules chargées ne peuvent pénétrer le champ magnétique qui entoure le plasma, elles sont transformées en atomes neutres avant l’injection.

En pratique, ce n’est pas une tâche facile. Pour donner aux particules la vitesse nécessaire, un accélérateur de particules utilise la force d’attraction exercée par une tension élevée sur une particule chargée (ou ion). Cependant, seules des particules non chargées (neutres) peuvent pénétrer le champ magnétique entourant le plasma ; il faut donc commencer par dépouiller les atomes d’hydrogène (non chargés) de leurs électrons, puis les accélérer et finalement les neutraliser à nouveau avant l’injectionw3.

  1. Des antennes présentes à l’intérieur des murs de l’anneau permettent de propager dans le plasma des ondes électromagnétiques de fréquences particulières. Par suite, les particules de plasma en mouvement entrent en résonance et absorbent l’énergie des ondes.

Pourquoi l’énergie de fusion se fait-elle tant attendre ?

Les centrales du futur
utiliseront-elles la fusion ?

Image reproduite avec
l’aimable autorisation de Khánh
Hmoong ; source d’images :
Flickr

Dans les années 70, les scientifiques pensaient qu’une fois que l’on serait capable de chauffer suffisamment le plasma et de créer des champs magnétiques suffisamment larges, la production d’énergie de fusion deviendrait réalité. Mais le plasma s’est avéré très instable et perd bien plus d’énergie qu’ils ne l’avaient envisagé. Les scientifiques se sont donc tournés vers l’étude de la physique derrière ces phénomènes et développent des méthodes de contrôle des instabilités. Si, comme on le pense, ITER réussit à générer un net surplus d’énergie de fusion, ces problématiques pourront être considérées comme résolues. La première centrale à fusion pourrait alors voir le jour d’ici 2050.

L’énergie de fusion

La fusion d’un noyau de tritium (T) et d’un noyau de deutérium (D) libère 17,6 MeV d’énergie, dont 80 % – 14,1 MeV – est portée par le neutron libéré et peut servir à la production d’électricité. La fusion de 1 kg de D avec 1,5 kg de T (La masse du tritium équivaut à 1,5 fois celle du deutérium) et produit 14.1/(2*1.67262*10-27) = 4.2*1027 MeV. Un noyau de D comprend un proton et un neutron pesant chacun 1.67262·10-27 kg.

Par ailleurs, un kilogramme de D contient 3·1026 noyaux (Un noyau de D comprend un proton et un neutron pesant chacun 1,6·10-27 kg). La fusion de 1 kg de D avec 1,5 kg de T provoque donc 3·1026 réactions de fusion et produit 14.1 x 3·1026 = 4.2 x 1027 MeV d’énergie.

Une centrale à fusion ayant une efficacité de 40 % pourrait ainsi générer 70 GWh d’électricité (sachant que 1 eV = 1,6*10-19 J ou Ws) à partir de 1 kg de deutérium, une quantité suffisante pour alimenter en courant 20 foyers moyens dans un pays industrialisé.

Il est possible d’extraire du deutérium de l’eau de mer, qui en contient 35 grammes par mètre cube. Bien que le tritium ne se trouve pas en grandes quantités dans la nature, il est possible d’en obtenir à partir du lithium, un métal léger, avec l’aide de quelques neutrons produits dans la réaction de fusion :

6Li + n => 4He + 3H + énergie

ou grâce à une réaction similaire utilisant du 7Li. Sur Terre, la plupart des minéraux contiennent du lithium et 2,3 kg sont nécessaires pour obtenir 1 kg de tritium. Une centrale à fusion produisant 1 GW d’électricité (capacité semblable à celle des centrales à fission) utiliserait 150 kg de tritium et 100 kg de deutérium par an.

À propos de l’EFDA-JET

En tant que projet collaboratif, l’expérience JET est collectivement utilisée par plus de 40 laboratoires de fusion européens. L’EFDA (European Fusion Development Agreement) offre une réelle plate-forme d’exploitation de l’expérience JET ; plus de 350 scientifiques et ingénieurs issus de tout l’espace européen contribuent actuellement au programme JET.

EFDA-JET est membre de l’EIROforumw4, éditeur de Science in School.

Remerciement

Merci à Örs Benedekfi, ancien responsable de l’information du public pour l’EFDA, pour sa contribution à cet article.


References

Web References

  • w1 – Lors de l’édition 2007 de Science on Stage, manifestation internationale pour l’enseignement, Zoltán Köllö a remporté un prix pour la mise au point d’une expérience illustrant la fusion nucléaire et la barrière de Coulomb en n’utilisant que quelques gouttes d’eau et le fond d’une cannette. Pour reproduire l’expérience, voir : www.esa.int/SPECIALS/Science_on_Stage/SEMRE58OY2F_0.html
    • Pour en savoir plus sur Science on Stage, réseau européen d’enseignants en sciences, voir : www.scienceonstage.eu
  • w2 – Pour plus d’informations sur la fusion, les réacteurs à fusion et l’EFDA-JET, voir : www.efda.org
  • w3 – Pour plus de détails sur la façon dont sont produits les faisceaux de particules à haute énergie, consulter le site web de l’EFDA (www.efda.org) ou utiliser le lien suivant : http://tinyurl.com/neutralbeam
  • w4 – Pour plus d’informations sur l’EIROforum, voir : www.eiroforum.org

Resources

Institutions

Author(s)

Le Dr Christine Rüth est rédactrice en chef de Fusion in Europe, la newsletter de l’EFDA. Elle possède un doctorat en physique dans le domaine de la recherche climatique et s’intéresse désormais activement aux solutions énergiques respectueuses du climat. Après avoir occupé un poste de physicienne dans l’industrie, elle a obtenu un Master en communication scientifique pour ensuite faire de la communication scientifique et technologique son métier.

Review

Cet article décrit l’état de la recherche en matière de production d’électricité à partir de la fusion de noyaux atomiques légers – à l’image de la réaction qui a lieu dans le Soleil. Il offre aux enseignants de physique, et de science en général, un aperçu détaillé du procédé de fusion et des défis liés à la production d’énergie dans une centrale à fusion.

Les questions du changement climatique et de l’effet de serre impliquent que plusieurs pays font face à la problématique de la production durable d’énergie renouvelable. Cet article pourra donc être utilisé non seulement pour les cours de physique, mais aussi pour des cours de biologie, de géographie et de langues.

Cet article pourra favoriser la discussion sur un large éventail de questions, y compris :

  • Comment la fusion fonctionne-t-elle ?
  • Pourquoi, même après 30 ans de recherche, ne produisons-nous pas encore d’énergie dans des centrales à fusion ? Quels sont les défis à relever ?
  • Quels pourraient être les avantages des réacteurs à fusion ?
  • La fusion peut-elle offrir une méthode durable de production d’énergie ?

Gerd Vogt, Higher Secondary School for Environment and Economics (Lycée pour l’Environnement et l’Economie), Yspertal, Autriche

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