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Traduit par Dominique Cornuéjols. Halina Stanley décrit les travaux de deux scientifiques israéliens sur les boules de plasma et raconte comment ils ont ainsi trouvé le moyen – qui pourrait s’avérer très utile - de créer des nanoparticules.
Il y a des choses que nous ne devrions pas faire, mais – que ce soit par accident, par curiosité ou encore par défi – nous les faisons malgré tout. Ne pas mettre d’objet métallique dans un four à micro-ondes est certainement la règle numéro un à connaître pour ce genre de cuisson. Mais tous, un jour ou l’autre, nous avons laissé par mégarde une fourchette dans un plat de restes à réchauffer, créant ainsi des arcs, des étincelles ou peut-être même des boules de plasma (couramment appelées boules de feu – les deux expressions seront utilisées de façon interchangeable dans cet article), avant de précipitamment appuyer sur le bouton «arrêt». A en juger par le nombre d’expériences farfelues ou carrément dangereuses que l’on peut voir sur YouTubew1, de nombreux jeunes (et des moins jeunes) trouvent irrésistible de créer de cette façon des boules de feu.
Des scientifiques de l’Université de Tel Aviv en Israël ont volontairement créé des boules de feu dans une cavité à micro-ondes à l’ESRF (European Synchrotron Radiation Facility) à Grenoble, pour savoir de quoi elles étaient faites. Ils ont ainsi démontré qu’un simple four à micro-ondes permet de fabriquer des nanoparticules hautement ionisées (plasma poussiéreux).
Au départ, les scientifiques, Eli Jerby et Vladimir Dikhtyar, étaient intéressés par l’utilisation de micro-ondes pour produire un échauffement localisé très intense. En fait, ils avaient introduit une électrode métallique pour concentrer les micro-ondes sur un point de quelques millimètres seulement, à l’opposé de ce que nous voulons faire quand nous chauffons de la nourriture. Si vous chauffez des matériaux comme du verre ou de la céramique, la quantité d’énergie qu’ils absorbent augmente avec la température. Ainsi, les régions les plus chaudes absorbent plus de micro-ondes et donc leur température augmente encore plus. Cet effet, appelé emballement thermique, est potentiellement dangereux, particulièrement dans les matériaux qui sont de mauvais conducteurs, où les échanges de chaleur avec les matériaux environnants sont lents, provoquant l’apparition de points excessivement chauds (au-dessus de 1200°C).
C’est exactement ce que Jerby et Dikhtyar avaient l’intention de produire: ils développaient une nouvelle perceuse à base de micro-ondes pour faire des trous de 2 mm de diamètre dans des céramiques ou du verre, en laissant les substrats métalliques intacts. Cette perceuse est silencieuse, ne produit pas de poussière et peut être utilisée pour faire des trous dans les os en chirurgie orthopédiquew2).
Un jour (sans doute inévitablement!) quelque chose est allé de travers: une boule de feu s’est détachée du matériau fondu. «Cela a détruit un composant de notre générateur de micro-ondes, qui coûtait 2000 dollars», nous raconte le Professeur Jerby. La production de boules de feu est devenue un véritable problème: «A plusieurs occasions, une boule de feu est sortie d’une point chaud. Elle flottait dans l’air comme un ballon gonflable élastique, en se déplaçant vers l’antenne de micro-ondes, à 20 cm de là, et disparaissait.» (Dikhtyar & Jerby, 2006). Les boules de feu pouvaient apparaître de façon répétitive (par exemple à une seconde d’intervalle), mais le phénomène était rare et imprévisible.
Bien qu’à l’origine Jerby et Dikhtyar n’aient pas été fondamentalement intéressés par la production de boules de feu (ils voulaient plutôt s’en débarrasser), leur intérêt s’est éveillé petit à petit. Et ils ont finalement consacré les années qui ont suivi à un travail systématique pour arriver à générer à volonté des boules de feu à partir de verre fondu. Maintenant, en plus d’utiliser leur perceuse pour faire des trous, ils se servent d’une version modifiée pour créer des boules de feu.
Vous trouverez quelques vidéos des boules de feu du Professeur Jerby sur son site webw3, mais beaucoup d’autres aussi, car de nombreux chercheurs amateurs de par le monde ont réalisé ce genre d’expérience. Banissons l’idée d’imiter Bill Beaty, un ingénieur de l’Université de Washington à Seattle, aux Etats-Unis (le risque de recevoir des morceaux de verre brûlant ou de détruire le four à micro-ondes me paraît trop grand), mais sa vidéow4 est vraiment intéressante
Le fait de créer des boules de feu est une chose. Les comprendre en est une autre. Comme vous pouvez le voir sur YouTube, des boules de feu ont été créées en passant aux micro-ondes des bougies allumées, des raisins, des morceaux d’aluminiumw5 du verre fondu ou des cure-dents en train de se consumer. Toutes ces boules de feu flottent dans l’air tant qu’elles sont irradiées par les micro-ondes. Mais elles s’éteignent juste après l’arrêt du four à micro-ondes, environ 30 ms dans le cas du verre fondu. Elles ont plusieurs caractéristiques en commun avec la «foudre en boule»w6, un phénomène se produisant –apparemment – lorsque la foudre frappe un nuage de nanoparticules issues du sol, qui s’oxydent lentement dans l’air en relâchant de la chaleur et de la lumière (Abrahamson & Dinniss, 2000).
Bien évidemment, Jerby, Dikhtyar et leurs collègues ont voulu comprendre leurs boules de feu. Il leur semblait qu’elles étaient faites de matière sortie du verre fondu (voir image ci-dessous et les vidéos du site web du Professeur Jerbyw3), mais, si c’étaient des particules brillantes suspendues dans l’air, elles devraient être extrêmement petites. En effet, si les particules avaient une taille de l’ordre de quelques microns, elles diffuseraient la lumière visible de la même façon que des gouttelettes d’eau dans un nuage (qui ont une taille d’une dizaine de microns), et vous verriez un brouillard de gouttelettes de verre. Elles ne disparaîtraient pas aussi rapidement qu’elles le faisaient en réalité.
La microscopie électronique est généralement la première technique utilisée par les scientifiques pour caractériser des structures sub-microniques – comme les particules hypothétiques dans les boules de plasma – mais vous ne pouvez pas créer une boule de plasma et la mettre dans le tube à vide d’un microscope électronique. Par contre, la technique de diffusion des rayons X aux petits angles (voir encadré) fournit un bon moyen pour savoir s’il y a des particules dans la boule de plasma et, si tel est le cas, pour les caractériser.
Ainsi donc, Jerby et ses collègues apportèrent leur cavité à micro-ondes munie de leur mécanisme créateur de boules de feu (la perceuse modifiée) à l’ESRF, où des faisceaux de rayons X très intenses servent à étudier toutes sortes de matériaux. La cavité à micro-ondes avait des trous pour permettre aux rayons X d’entrer et de sortir, ainsi qu’un hublot pour que les chercheurs puissent voir ce qu’ils faisaient. Les trous d’entrée et de sortie des rayons X étaient trop petits pour que les micro-ondes (longueur d’onde d’environ 12 cm pour un magnétron de 2,45 GHz) puissent passer à travers, et le hublot avait des ailettes pour empêcher les micro-ondes de s’échapper (voir image à gauche).
A l’ESRF, les chercheurs ont créé des boules de feu dans leur cavité grâce à leur perceuse modifiée. Des rayons X (longueur d’onde 0,1 nm) venant du synchrotron par un tube à vide ont été envoyés dans la cavité à micro-ondes, remplie d’air à la pression atmosphérique. Les rayons X sont passés à travers les boules de feu (qui restaient immobiles pendant environ 1s) et sont ressortis de la cavité par un deuxième tube sous vide, allant jusqu’à un détecteur de rayons X placé à environ 5 m de là (voir diagramme). Les clichés de diffusion à petits angles obtenus ont été enregistrés à une fréquence de plusieurs (de 3 à 10) par seconde.
Ces clichés ont démontré que les boules de feu étaient en fait composées de particules ayant un rayon moyen d’environ 25 nm – c’est-à-dire des nanoparticules. Les données ont aussi montré que les particules sont de taille très variable (ce qui est typique des aérosols) et qu’il y avait environ un milliard de particules par centrimètre cube. La fraction en volume de matériau solide dans la boule de feu est d’environ 10-7 ou 10-8. Ce qui veut dire qu’il y a seulement une très faible quantité de matière dans le nuage. L’analyse des données suggère également que les particules ont une surface irrégulière: les scientifiques ont trouvé que cette surface avait une dimension fractale de 2,6 (2,0 correspond à une surface très lisse, en deux dimensions, 3,0 à une surface en trois dimensions).
La diffusion aux petites angles (SAS) est une technique dans laquelle de la lumière, des rayons X ou des neutrons sont envoyés sur un échantillon, et où le rayonnement qui dévie légèrement (diffusé de façon très proche de la trajectoire directe) est analysé (voir diagramme). L’angle (2θ) selon lequel le rayonnement dévie par rapport à la trajectoire directe dépend du rayonnement incident et de la taille du diffuseur (dans ce cas, la particule dans l’échantillon que l’on étudie). Pour une longueur d’onde donnée (λ), plus l’angle est important, plus la particule est petite ou, inversement, plus l’angle est petit plus l’échelle de longueur testée est grande. La relation entre ces paramètres est donnée par la formule λ/d = 2sinθ. La lumière visible (laser) utilisée dans les expériences de diffusion a une longueur d’onde beaucoup plus grande (environ 600 nm) que les neutrons (0,1 – 1 nm) ou les rayons X (environ 0,1 nm) et est donc plus adaptée (bien qu’il y ait un certain recouvrement) pour analyser des objets plus grands.
La technique SAS en rayons X peut vous donner la taille moyenne d’une particule (dans la gamme d’environ 1 nm jusqu’à quelques centaines de nanomètres), la distribution de la taille des particules, la forme des particules, ainsi que des indications sur leur structure interne, la rugosité de surface ou la séparation interparticulaire, mais toute cette information ne peut être obtenue instantanément par un seul jeu de données. Le cliché de diffusion n’est pas extrêmement précis (la plupart du temps on observe un dégradé dans l’intensité diffusée quand l’angle de diffusion augmente, occasionnellement on peut voir un pic assez large) et ne définit pas d’une façon unique les diffuseurs : deux clichés de diffusion très similaires peuvent, par exemple, être produits l’un par une population polydispersée (de taille et de forme variées) de diffuseurs sphériques, l’autre par une population monodispersée (de taille et de forme identiques) de diffuseurs cylindriques. Si bien que l’analyse de données fait appel à une méthode du style « supposer, vérifier, reconsidérer », où un modèle plausible est utilisé pour prédire ce que sera le cliché de diffusion, et sera ensuite comparé aux données réelles. Le modèle est révisé autant de fois que nécessaire de façon itérative.
Mais pourquoi les particules brillent-elles? Pourquoi les chercheurs disent-ils qu’elles forment une boule de plasma? Lorsque les particules sont soumises aux micro-ondes, elles absorbent de l’énergie et leur température monte jusqu’à 730°C (1000 K). Cette énergie est ré-émise sous la forme d’une intense lumière visible. A 730°C les particules émettent également des électrons (émission thermo-ionique), faisant de la boule de feu un plasma poussiéreux (un nuage de particules solides ayant perdu des électrons, et donc hautement ionisées).
Avec les rayons X de l’ESRF, les scientifiques ont cherché à savoir ce qu’il advient des boules de feu lorsque les micro-ondes sont arrêtées. Visuellement, la boule de feu disparaît après environ 30 ms, mais les rayons X continuent à détecter des particules pendant environ 4 secondes. Les particules sont toujours là, mais invisibles à l’œil nu, car trop petites. Les données rayons X ont montré que les particules (qui sont chargées et stables lorsqu’elles sont soumises aux micro-ondes) diffusent au début du refroidissement de la boule de feu et ensuite tendent à s’agréger pour former des clusters (Mitchell et al, 2008).
Le professeur Jerby est depuis revenu à l’ESRF avec plusieurs matériaux à tester aux micro-ondes. Qu’a-t-il appris ? «Nous avons examiné des structures de boules de plasma faites de toutes sortes de matériaux, y compris du cuivre, des sels, de l’eau et du carbone. Il semble que nous soyons capables de générer des boules de plasma à partir de n’importe quel matériau…» Ce qui signifie qu’il a maintenant une méthode pour créer directement des nanoparticules de beaucoup de substances différentes. C’est très intéressant, car les nanoparticules ont de nombreuses applications, et les produire n’est pas toujours très facile. Les nanoparticules sont utilisées en médecine (par exemple pour l’administration de médicaments), en catalyse (pour nettoyer les polluants) et même dans le traitement des odeurs de chaussettes (qui repose sur des nanoparticules d’argent pour tuer les bactéries; voir Benn & Westerhoff, 2008). Pour une vue d’ensemble des nanotechnologies, voir Pickrell (2006), et pour utiliser la nano-technologie en classe, voir Mallmann (2009).
Tout cela est très loin de la percée de trous dans la céramique. Lorsqu’on lui demande ce qu’il veut faire ensuite, le Professeur Jerby répond: «J’espère générer de l’énergie à partir de matériaux communs, d’une façon efficace et pratique.» En attendant, rappelez-vous qu’en essayant de sécher vos chaussettes nanotech en utilisant un four à micro-ondes, vous risquez de provoquer des feux d’artifice!
Pour quelques expériences à faire en classe en se servant d’un four à micro-ondes, y compris la production de boules de plasma, voir Stanley (2009) dans ce numéro.
L’auteur voudrait remercier le Professeur Jerby, de l’Université de Tel Aviv, Israël ; Dr Narayanan de l’ESRF ; et Dr Schrempp, du Lycée Los Osos, Rancho Cucamongo, Californie, USA, pour leur aide sur cet article.
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