Sur quoi portent vos recherches? Le dentifrice? Inspire article
Traduit par Linda Sellou. Linda Sellou, une étudiante en thèse à l’université de Bristol (GB), raconte à Sai Pathmanathan, un journaliste spécialisé dans l’éducation scientifique, ce qu’elle pensait de la science à l’école et où elle en est à l’heure actuelle.
Quand avez-vous été pour la première fois intéressée par la science ? Y a-t-il eu un déclencheur ? Linda se remémore :
«En fait, ce fut lors de ma toute première visite à la Cite de la Science à Paris. J’étais très jeune (école primaire) mais je me rappelle que j’étais fascinée par les réactions chimiques impliquant un changement de couleurs et, par ailleurs, je pensais que l’azote liquide était captivant ! Dès lors, mon intérêt pour la science amplifia graduellement jusqu’au Lycée, où j’ai découvert que les cosmétiques et l’alimentaire étaient tous deux étroitement reliés a la chimie ! »
La plupart des filles aiment se maquiller, mais combien d’entre elles feraient le rapprochement entre les cosmétiques et la chimie ? D’ailleurs combien de jeunes filles décident de s’orienter dans le domaine scientifique après le collège. Linda pense qu’elle fut très chanceuse. L’enseignement de la science à l’école a, non seulement, permis à Linda de découvrir tout ce que ce domaine renfermait mais aussi, l’a rendue plus accessible et surtout a montré que la science est applicable dans la vie quotidienne. Elle était d’autant plus intéressée quand venait l’heure des travaux pratiques. Sans l’opportunité de découvrir la science à l’école, peut-être que Linda ne serait pas l à, aujourd’hui, en train de mener des recherches scientifiques.
« La science est partout autour de vous, j’aime être capable de comprendre ce qui se passe dans ma vie ! »
Quand la plupart d’entre nous pense cosmétique, fard à paupière, mascara, rouge à lèvres rouge intense, tout ça parait évident. Personne ne pense dentifrice. Pourtant, certains scientifiques recherchent les propriétés et formulations des dentifrices et Linda est l’un d’entre eux. Elle est à l’heure actuelle en train de faire des recherches sur le caractère abrasif des dentifrices : la rugosité des particules de silice contenues dans le dentifrice. Elle étudie la structure de ces particules et comment celles-ci détériorent la surface des dents. Pour l’industrie, il est important d’avoir le maximum d’informations sur les composants.
Le dentifrice a pour fonction d’enlever la couche de protéines (pellicule) formée à la surface des dents après exposition à la salive, sinon cela cause des caries. Pour enlever cette pellicule, il est nécessaire d’utiliser un dentifrice abrasif. Cependant, le dentifrice ne doit pas être trop abrasif sinon il risque d’endommager la dentine (à la limite de la gencive).
Linda a commencé par préparer et caractériser un dentifrice à base de silice, sorbitol, polyéthylène glycol, dodecyl sulfate de sodium, carboxymethyl cellulose de sodium et eau. Dans les dentifrices du commerce, du fluor et des parfums sont aussi ajoutés. Elle teste l’abrasivité et le pouvoir nettoyant du dentifrice, in vitro, ceci en utilisant une machine à brosser suivant un mouvement latéral. Il est possible d’utiliser de réelles dents extraites pour les différents tests, cependant utiliser un modèle synthétique comme le Perspex (polyméthacrylate) est beaucoup plus pratique et présente des propriétés physiques similaires. En ce qui concerne le test mesurant l’abrasivité, elle brosse, utilisant l’équipement adéquat, pendant une certaine durée, l’échantillon de Perspex avec la base du dentifrice et calcule l’indice abrasif en mesurant la réflectance de l’échantillon avant, et après, le brossage. Pour caractériser le pouvoir nettoyant du dentifrice, le test est similaire mais utilise comme échantillon des disques d’hydroxyapatite, qui ont été préalablement tachés (cristaux d’apatite de calcium et de phosphate, [Ca10(PO4)6(OH)2]) qui est le principal constituant de l’email. En comparant les bases de dentifrices contenant différents types de particules de silice, Linda peut trouver la formulation du parfait dentifrice. «En fait, le problème est de nettoyer les dents au maximum et de causer le minimum d’abrasion. Je trouve ça intéressant simplement parce que ça touche tout le monde et ça deux fois par jour ! »
Linda a toujours su qu’elle voulait étudier la chimie. Apres le baccalauréat, elle est entrée en classe préparatoire (Math Sup. et Spé.) et a ensuite passé le concours d’entrée aux grandes écoles, qui lui a finalement permis d’accéder à l’Ecole Nationale Supérieure de Chimie de Lille. Elle a alors choisi de se spécialiser dans le domaine de la chimie physique. Pour sa dernière année d’école d’ingénieur, elle décida de partir à l’Université de Bristol en Angleterre, en tant qu’étudiante ERASMUS. Son projet de recherche portait sur les parfums et était basé au « Bristol Colloid Centre ». Quand, à la fin du projet, ses superviseurs lui ont proposé de faire une thèse sur le dentifrice, elle n’a pas hésité pour accepter.
Linda fut assez chanceuse dans la façon dont se déroulèrent les événements. Elle se rend compte que d’autres n’ont pas autant de chance, mais elle leur conseille de ne jamais abandonner. « Concentre-toi sur ce que tu veux faire et ne sois pas découragé par ce que disent les gens ». Linda recommande à tous ceux, qui voudraient suivre un chemin similaire au sien, de mûrement réfléchir avant de décider du domaine de spécialisation, et de choisir des projets cohérents avec leurs aspirations. Evidemment rencontrer des personnes, qui travaillent dans le milieu, aide beaucoup.
Linda croit que la culture d’origine, le milieu social ou bien l’éducation, ne devraient pas empêcher les élèves de suivre leurs rêves. « Je viens de la banlieue Parisienne où traditionnellement, les familles d’immigrants et surtout les foyers à bas revenus se sont installés. Les banlieues sont souvent caractérisées de zones sensibles et furent le lieu des émeutes de 2005. A cause de la situation dans laquelle ces enfants grandissent, ils n’ont pas toujours conscience des différentes possibilités scolaires qui s’offrent a eux, ou bien abandonnent avant même d’avoir commencé. Malheureusement, certains enseignants sous-estiment aussi les capacités de ces jeunes et pensent qu’ils ne sont pas capables de continuer plus loin leurs études.
« Au lycée, mes professeurs de sciences physiques et de mathématiques me disaient que je n’étais pas assez douée pour aller en classe préparatoire ou pour devenir ingénieur en chimie. L’unique encouragement que j’ai reçu est venu de mon professeur de Français ! En revanche, mes parents ont toujours été très présents pour moi, même s’ils ne connaissent rien à la chimie ou sur l’université en général. Ma mère est femme au foyer et mon père peintre en bâtiment ; il est arrivé en France il y a 40 ans. Ils m’ont toujours encouragé sans vraiment comprendre ce que je faisais. Au début, j’étais un peu confuse par ce qu’on me disait, puis après j’ai décidé de ne pas écouter mes professeurs et de travailler encore plus dur pour atteindre mon but. »
Aujourd’hui le milieu scolaire dans les banlieues est loin d’être parfait mais il y a des améliorations : davantage de soutien et de suivi régulier, au lycée par exemple ». Linda pense que ceci est essentiel surtout pour les jeunes qui ne peuvent pas être aidés à la maison.
La science n’est pas toujours compliquée et faite de contrôles ou d’examens et on n’a pas besoin d’être une star d’Hollywood pour recevoir une récompense. En Octobre 2006, Linda fut parmi les quatre personnes à recevoir un prix pour son poster lors de la douzième Conférence Internationale sur les Surfaces et les Colloïdes, organisée par IACIS à Pékin. « Etant seulement une étudiante en thèse de deuxième année, c’était vraiment gratifiant pour moi, et surtout rassurant, de savoir que mes recherches étaient reconnues et appréciées. »
Linda admet cependant que l’image de la science pourrait être améliorée. « Parfois, les gens pensent que la science se résume seulement à beaucoup de boulot et que c’est ennuyant. Il semble aussi qu’elle pâtisse d’une image un peu vieux jeu. Je ne suis pas en train de dire qu’on ne travaille pas beaucoup, bien sur que c’est le cas ! Mais la science, et en particulier la chimie, peut être vraiment passionnante et accessible à tout le monde. Tout dépend de l’approche. Bien sur, les enseignants jouent un rôle majeur. Par exemple, mes trois petites sœurs pensent que la science est trop compliquée : que ce n’est que des chiffres, des équations et des formules… seulement parce que c’est la manière qui leur a été enseignée a l’école. Quand je leur dis que la chimie les entoure : des vêtements qu’elles portent, aux médicaments, en passant par les produits cosmétiques…jusqu’à leur repas préféré ! Elles sont surprises. Elles me demandent pourquoi on ne leur dit pas ça à l’école. Bien que les applications de la chimie soient évidentes pour les enseignants, elles ne le sont pas toujours pour les élèves.
Quand je me présente et que je dis que je fais une thèse en chimie, les gens me demandent rarement quel est le sujet de mes recherches, parce qu’ils pensent qu’ils ne comprendraient pas. Mais quand je leur dis que c’est sur le dentifrice, ils sourient ou même rient parce que c’est simple, applicable et ils savent ce que c’est ! »
Beaucoup de scientifiques sont de bons communicateurs et Linda n’est pas une exception. Quand elle était dans son école de chimie, elle faisait partie de l’ UIC : l’Union des Industries Chimiques. Elle allait dans des lycées avec un ingénieur pour faire des présentations sur la chimie en général et ses applications. Aujourd’hui, Linda est une ambassadrice active de la science dans un projet soutenu par SETNET.
Ce projet met en relation écoles et élèves avec des organisations impliquées dans la science, la technologie, l’ingénierie et les mathématiques (STEM), et organise des activités et des projets adaptés et intéressants pour les jeunes. Les ambassadeurs sont tous issus de milieux variés (employeurs, techniciens de laboratoire, professeurs ou bien étudiants en thèse) et viennent de toute la Grande-Bretagne. Ils partagent leur enthousiasme et leur passion et organisent des activités au sein des écoles, en espérant inspirer les élèves de primaires, collèges et de lycées. Les bénéfices de ce projet pour les enseignants sont variés : leur fournir de l’aide, leur permettre de varier les programmes et méthodes pédagogiques, remettre à jour leurs connaissances sur la science contemporaine et les technologies, et enfin les sensibiliser davantage à la recherche. Les ambassadeurs apportent une approche et une vision différentes aux élèves, souvent plus accessibles et stimulantes pour les plus jeunes.
« J’adore travailler en tant qu’ambassadrice pour la science. J’apprends beaucoup, tout en exprimant mon coté communicatif. C’est tellement gratifiant de transmettre ses connaissances, de partager ses intérêts, d’aider les élèves, de leur faire découvrir de nouveaux horizons, et de les voir s’amuser en profitant de cette expérience. C’est une manière pour eux de faire le lien entre la science et leur vie quotidienne et ils sont toujours très motivés pour apprendre toujours plus. J’espère en avoir inspiré certains pour faire une carrière dans la science ! »
Quelle sera la prochaine étape pour Linda ? Elle aimerait continuer à faire de la recherche et publier ses découvertes. Mais surtout, elle aimerait voyager, ce qui n’est généralement pas très difficile dans le domaine universitaire. « Peut-être l’Australie… j’ai très envie de découvrir d’autres cultures et d’étudier d’autres sujets, comme la biochimie. Jusque-là, je continuerai à travailler avec les enfants et peut-être un jour mettre au point une collaboration entre les écoles françaises, britanniques et les chercheurs ! »