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Traduit par Maurice A. Casimir. Lucy Patterson discute avec Èlia Benito Gutierrez, du Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire, à Heidelberg, de la manière dont l’organisme animal favori d’Èlia, l’amphioxus, pourrait fournir la clé de notre compréhension de l’évolution des…
L’amphioxus en forme de ver filtre le plancton agité par les vagues dans les fonds marins côtiers, enfoui jusqu’aux ouïes. Il en est ainsi depuis un très long temps. Jour après jour, pendant plus de 520 millions d’années, l’amphioxus – ou quelque chose lui ressemblant beaucoup – a filtré le plancton alors que le monde changeait autour de lui. Les poissons s’étaient traînés vers la terre, les dinosaures avaient grondé dans les plaines, les hommes primitifs avaient battu ensemble des silex pour faire du feu, et pendant tout ce temps, l’amphioxus était là. Si vous avez l’opportunité d’utiliser un tube et un masque, examinez-les. Ils peuvent ne pas sembler très dynamiques, mais ces créatures fascinent les spécialistes d’histoire naturelle depuis le milieu du 19ème siècle, Èlia Benito Gutierrez incluse.
Son intérêt pour l’amphioxus remonte au cours de zoologie de première année de l’Université de Barcelonew1, Espagne. «L’amphioxus était cet étrange animal en forme de ver mentionné à la fin de la liste des invertébrés, avant les vertébrés», se souvient-elle. Depuis la grande révolution darwinienne d’il y a 150 ans, nombreux sont ceux qui considèrent que l’amphioxus est la clé de la compréhension de l’origine des vertébrés – le groupe des animaux à squelette osseux incluant les poissons, les amphibiens, les reptiles, les oiseaux et les mammifères, dont nous-mêmes naturellement. La curiosité et la minutie d’Èlia l’amenèrent, après un doctorat à Barcelone et un poste de chercheuse à Londres, Royaume Uni, au Laboratoire Européen de Biologie Moléculaire (EMBL)w2 de Heidelberg, Allemagne, et à un projet pionnier sur l’amphioxus.
Le projet d’Èlia entre dans le cadre de la science relativement nouvelle dite ‘évo-dévo’ (génétique évolutive du développement) – l’étude combinée de l’évolution et du développement. Les scientifiques réalisent de plus en plus que la complexité du développement – la manière dont un seul œuf fertilisé donne naissance à l’incroyable diversité de cellules et de tissus chez un adulte – a eu un impact majeur sur le cours de l’évolution.
Plutôt que de réinventer chaque fois la roue, les espèces nouvelles surgissent par à-coups et ajustements à des programmes de développement préexistants. Plus les à-coups se produisent tôt, plus les changements qui en résultent sont spectaculaires. Il est moins probable que des à-coups plus tardifs, qui produisent des changements plus subtils, aient causé des désagréments majeurs, et ils ont donc été favorisés. Ceci a des implications étonnantes: plus nous regardons rétrospectivement le développement, plus nous somme semblables à nos ancêtres dans l’arbre de l’évolution. Par exemple, saviez-vous qu’en tant qu’embryons, nous passons par une étape dans laquelle nous commençons à développer des branchies comme nos prédécesseurs aquatiques? Tout comme des embryons de poissons, nous développons des arcs branchiaux’, six petits sacs de chair de chaque côté du cou, contenant chacun une bande cartilagineuse. Des évolutions adaptatives postérieures à notre passé aquatique ont amené celles-ci à se relocaliser dans notre mâchoire et dans de minuscules osselets de notre oreille interne au cours du développement.
L’amphioxus appartient à un groupe très fermé de créatures, de grande valeur pour les scientifiques étudiant l’éco-dévo’, que Darwin appelait ‘fossiles vivants’ – des espèces vivant de nos jours mais encore remarquablement semblables à leurs ancêtres fossilisés. D’autres exemples incluent les crocodiles et le cœlacanthe, un grand poisson à l’aspect fossile dont l’on pensait qu’il avait disparu jusqu’à ce qu’un spécimen vivant ait été découvert en 1938. La Terre a été témoin d’énormes changements environnementaux au cours des millénaires, ce qui a stimulé l’évolution d’espèces nouvelles tout en amenant la disparition d’autres espèces. En fait, on a estimé que 99.9% de toutes les espèces ayant existé ont aujourd’hui disparu.
Néanmoins, ces espèces fossiles ont survécu et apparaissent comme relativement inchangées. Bien qu’il puisse sembler que ces créatures sont restées prisonnières dans une chaîne évolutionnaire figée dans le temps, en fait leur ADN a été l’objet d’autant de mutations que celui d’autres espèces. Cependant, pour une raison inconnue, les mutations qui causèrent des modifications dans la forme du corps n’ont jamais été particulièrement bénéfiques. Pour l’amphioxus – une créature versatile qui se trouve à l’aise dans de nombreux types de fonds marins sablonneux ou graveleux, dans des eaux chaudes ou plutôt glacées – le style de vie à base de filtrage de plancton qu’il partage avec ses ancêtres n’-t-il peut-être jamais été réellement en danger, même en plus de 520 millions d’années.
Toutefois, ce qui excite le plus les fans de l’amphioxus est la position de ses ancêtres primitifs dans l’arbre de l’évolution. Comme l’explique Èlia, «ce qui est réellement intéressant est que l’ancêtre primitif dont est issu l’amphioxus représente une sorte de vertébré ‘à minimum’ ou ‘souche’». Bien qu’officiellement un invertébré, l’amphioxus a beaucoup de points communs avec les vertébrés à colonne vertébrale. Il a un cordon nerveux creux courant de haut en bas de son dos, comme notre moelle épinière, et, près de celui-ci, une notochorde, une structure cartilagineuse rigide mais flexible qui soutient le corps en servant de colonne vertébrale primitive. Sous notre forme embryonnaire, nous avons aussi une notochorde, vestige de notre passé d’invertébré mais, tout comme pour les arcs branchiaux, la notre se désintègre pour être réutilisée – pour fabriquer les disques placés entre nos vertèbres. «En tant qu’être vivant le plus proche de l’ancêtre de tous les vertébrés, l’amphioxus nous donne un rare aperçu de ce à quoi nos ancêtres dans l’arbre de l’évolution ressemblaient probablement», dit Èlia. Et il est vrai que la probabilité de trouver en vie aujourd’hui une espèce fossile aussi importante pour l’évolution doit être phénoménalement mince.
Mais alors, comment les vertébrés ont-ils évolué à partir de ces ancêtres ressemblant à des amphioxus? Naturellement, l’évolution vers des cartilages et des os a été très importante, mais le passage de l’invertébré au vertébré impliqua davantage qu’une colonne vertébrale. Ce fut également un problème de choix de style de vie, en particulier concernant la nourriture. Alors que des créatures comme l’amphioxus reposaient sur le fond de la mer, en attendant que la nourriture vienne à eux, les premiers vertébrés élaborèrent une nouvelle stratégie: la prédation. Ils commencèrent à évaluer les moyens de trouver leur nourriture activement, ce qui requérait tout un ensemble nouveau d’innovations, de parties du corps et de savoir-faire. La clé du problème résidait dans l’évolution vers une nouvelle tête.
Ceci peut sembler évident, mais pour vous nourrir effectivement, vous devez d’abord trouver votre nourriture. Pour cela, vous avez besoin d’organes sensoriels sophistiqués pour voir, sentir, goûter et entendre (bien que nos ancêtres invertébrés aient disposé de cellules ou d’organes sensoriels, les premiers vertébrés évoluèrent vers des organes allant par paire, comme nos yeux, ce qui leur a permis de percevoir le monde en trois dimensions). Où mieux situer ces nouveaux outils de recherche de nourriture et le cerveau auquel ils sont connectés qu’à proximité de votre bouche? Ces innovations, à leur tour, ont diversifié le menu et, pour la plupart des vertébrés, la découverte de diètes moins digestes a fait évoluer la mâchoire en la garnissant de dents pour mordre et mâcher la nourriture avant qu’elle atteigne les intestins.
La clé tant du développement que de l’évolution de la tête est un tissu appelé ‘crête neurale – des cellules spéciales issues des mêmes tissus qui forment la base de notre cerveau et de notre moelle épinière. Une fois formées, ces cellules émigrent à travers tout le corps. Nombre d’entre elles ont comme destination finale la tête, où elles constituent les tissus conjonctifs, les muscles, la peau, les nerfs faciaux, les os et le cartilage en fournissant un support crucial au développement des yeux et des récepteurs de goût et d’odeur de la bouche et du nez. Les cellules de la crête neurale contribuent également (via les arcs branchiaux) aux os de la mâchoire, aux dents, et aux minuscules osselets de l’oreille interne, essentiels pour l’évolution de l’ouïe.
Comme le suggère son nom (‘amphis’ signifie ‘deux’ et ‘oxys’ signifie ‘pointu’; donc ‘pointu aux deux extrémités’), l’amphioxus n’a pas beaucoup de tête. Il est essentiel de noter qu’il n’a pas non plus de crête neurale, alors que tous les vertébrés en ont une. Il y a toutefois quelques preuves de l’existence de cellules migrantes un peu semblables à celles d’une crête neurale chez l’amphioxus et les tuniciers (ascidies), un autre groupe d’invertébrés relié au vertébré ancestral. En étudiant ces cellules, Èlia espère comprendre comment la crête neurale, et par extension la tête, a évolué.
Depuis que la séquence du génome de l’amphioxus a été complétée en 2008, la recherche sur celui-ci a vraiment atteint sa maturité. Des scientifiques comme Èlia peuvent aujourd’hui déterminer ce à quoi aurait ressemblé le génome souche d’un vertébré. Les comparaisons avec des génomes de vertébrés, y compris les humains, montrent des similarités remarquables. «Nous savons maintenant que l’amphioxus a toutes les mêmes familles importantes de gènes que les vertébrés», explique Èlia. «Tous les ensembles structurants de base qui font un vertébré sont présents. Aussi pourriez-vous vous demander: pourquoi l’amphioxus ne se développe-t-il pas comme un vertébré?» La réponse probable est que la raison réside également dans le génome. Au contraire des vertébrés, chez qui de nombreux gènes sont dupliqués, toutes les familles de gènes de l’amphioxus sont présentes en une seule copie. Ceci confirme les soupçons sur une différence majeure entre les vertébrés et leur lointain ancêtre: au début de l’évolution des vertébrés, le génome ancestral complet a été dupliqué par deux fois.
Au cours de l’histoire de notre évolution, d’étranges événements augmentèrent notablement le nombre de gènes disponibles pour que la sélection naturelle agisse, et donc le potentiel d’évolution. Alors que les gènes d’origine s’occupaient de l’activité ordinaire de structuration d’un animal, la sélection naturelle avait beaucoup plus de degrés de liberté pour bricoler de nouvelles copies. Grâce à cette activité, des familles et des réseaux entiers de gènes se sont recyclés pour construire de nouvelles parties du corps et de nouveaux systèmes pour celui-ci. En fait, ce n’est qu’après la duplication du génome que l’évolution de la crête neurale prit réellement effet et que les vertébrés commencèrent à acquérir une tête. Exactement quand et comment intervinrent ces duplications n’est pas clair et, sur des millions d’années d’évolution ultérieure, la plupart des gènes copiés – ceux n’ayant pas donné naissance à de nouvelles caractéristiques – ont été perdus.
Ainsi, plutôt que de se contenter de rester immobile dans le sable, sans véritable pression pour un changement, l’amphioxus a simplement évolué aussi loin qu’il a pu avec les gènes dont il disposait; sans l’apport de gènes nouvellement copiés, il est arrivé dans une impasse. Alors que pour beaucoup d’autres espèces, ceci se serait traduit par leur extinction, il existe toujours quelque part une bande côtière où l’amphioxus peut s’enterrer.
Des chercheurs comme Èlia sont particulièrement heureux que l’amphioxus soit encore parmi nous aujourd’hui car il fournit une opportunité unique d’étudier la manière dont les vertébrés primitifs ont évolué. Elle prête un intérêt particulier à l’évolution du cerveau, et projette de dresser une carte détaillée de celui de l’amphioxus au cours de son développement, en montrant les positions des différents neurones et les gènes dont ils sont l’expression. «En comparant l’amphioxus à des espèces de vertébrés, nous pouvons apprendre comment la machinerie de base déjà présente dans le vertébré souche a été retenue et redéployée, pour créer finalement des caractéristiques complexes comme la mémoire ou notre capacité à apprendre». Si bien qu’abandonné par l’évolution pendant toutes ces années, l’amphioxus pourrait fournir la clé de notre passé évolutionniste en nous aidant à comprendre quelles créatures nous sommes devenues aujourd’hui.
Ce fascinant article met en exergue l’importance de la science de l’évo-dévo et la manière dont l’amphioxus invertébré a des liens avec des vertébrés au niveau de l’évolution, allant du développement de la tête à une explication du déplacement d’un disque. La quantité d’informations contenues dans l’article en font une documentation sans égale pour des enseignants et des élèves âgés de 16 à 18 ans.
Les informations pourraient être utilisées pour enseigner l’évolution des vertébrés, en particulier le développement du système nerveux et des organes sensoriels, et pour des discussions de groupe tentant d’expliquer pourquoi l’amphioxus fournit un modèle valable pour le développement des vertébrés. Il existe des opportunités d’interdisciplinarité avec la géologie (rapports sur les fossiles) et les technologies de l’information et de la communication (la construction d’arbres phylogénétiques).
L’article constituerait un excellent exercice de compréhension en utilisant, par exemple, les questions suivantes.
Pour les plus aventureux, il y un potentiel pour un alignement séquentiel d’ADN et des analyses phylogénétiques comparées entre l’amphioxus et les gènes humains.
Mary Brenan, Royaume-Uni
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